Page:Audoux - Douce Lumiere.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

herbe haute, verte et toute fleurie. Églantine les revoit, ces prés parsemés de mille fleurs dès que revient le printemps. Elle sait que la rivière redeviendra étroite et claire, que le ciel reviendra s’y mirer, que le soleil y fera briller les cailloux autant que le ventre blanc des petits poissons. Mais elle sait aussi qu’elle ne reverra jamais plus cela. Elle sait que dans sa vie à venir rien ne refleurira, et que toujours passeront sur son cœur des vagues de boue plus épaisses et plus froides encore que celles qui roulent et se heurtent à ses pieds. Accablée, toute à l’angoisse de ce départ, elle quitte enfin le pont.

Et voici que dans cette avenue, où d’énormes platanes jouent avec le vent, et où elle espérait bien ne rencontrer personne, elle voit venir à elle le père de Noël. Il lui prend les mains, les garde sans prononcer une parole. Elle n’emportera pas le son de sa voix, mais toujours, toujours elle se souviendra du regard fait de pitié, de douceur et de regret qu’il attache sur elle.

Une bourrasque, venue d’en haut, fond sur eux, les désunit, les force de se courber, tandis qu’autour d’eux les dernières feuilles s’échappent des arbres et volent en tous sens comme des oiseaux fous.