Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/144

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cent mètres. J’ajustai très bien, du moins je le crus, car l’extrême désir que j’avais de faire valoir, devant les bateliers, l’excellence de mon coup d’œil, le rendait peut-être moins sûr qu’à l’ordinaire, et je tirai. Les Grues épouvantées s’envolèrent toutes, moins une qui fit quelques sauts en l’air, mais retomba de suite, et se mit à courir çà et là, en traînant une aile. Quand je fus debout, elle m’aperçut, j’imagine, pour la première fois, car elle commença à pousser de grands cris et à se sauver avec la rapidité d’une autruche. Moi, laissant là ma carabine déchargée, je n’eus rien de plus pressé que de partir à ses trousses, et sans doute elle m’eût échappé, s’il ne se fût rencontré par hasard une pile de bois, près de laquelle elle se retrancha et m’attendit. Quand je voulus m’en approcher, haletante et épuisée comme elle était, elle se redressa de toute sa hauteur sur ses longues jambes, étendit le cou, hérissa ses plumes qui frémirent, et marcha sur moi le bec ouvert, les yeux étincelants de colère. Je ne puis vous dire si ce fut, chez moi, l’effet d’un abattement inusité, ou d’une extrême fatigue ; mais toujours est-il que je ne me sentis nullement d’humeur de me mesurer avec mon adversaire, et que je ne songeai qu’à battre en retraite, sans cependant le quitter des yeux. Plus je reculais, plus la Grue avançait ; tant et si bien, que je lui tournai enfin les talons, et commençai à jouer des jambes, en fuyant plus vite que je n’étais venu. La Grue me poursuivait toujours, et je fus bien heureux d’atteindre la rivière où je me jetai jusqu’au cou, en appelant les hommes du bateau qui vinrent, en toute hâte, à mon