Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/204

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écoulé qu’ils se montraient on ne peut plus familiers avec le cuisinier ; ils étaient, en outre, devenus très gras. En maintes circonstances ils manifestaient les mêmes inclinations que les vautours, car lorsqu’on leur jetait un canard mort ou même un Goëland de leur propre espèce, ils le mettaient en pièces, buvaient son sang, déchiraient sa chair, qu’ils avalaient par gros morceaux, chacun s’efforçant de dérober celui de son voisin. Jamais ils ne buvaient d’eau, mais assez souvent y plongeaient le bec, qu’ils secouaient violemment pour en ôter le sang et les autres saletés. On les nourrit ainsi, jusqu’à ce qu’ils fussent à peu près en état de voler. Pendant que nous étions dans le port, les marins s’amusaient de temps en temps à les jeter à la mer, et cela semblait les amuser eux-mêmes, car ils se mettaient gaiement à nager, se baignaient, faisaient leur toilette, puis revenaient près des flancs du navire, pour qu’on les remontât à bord. Une nuit qu’il faisait grand vent et que, ballottés par un fort roulis, nous nous tenions à l’ancre dans le havre de Bras-d’Or[1], un de ces oiseaux fut lancé à l’eau et nagea vers le rivage, où le lendemain matin, après de longues recherches, nous le retrouvâmes tout transi et grelottant derrière un rocher. Nous le rendîmes à son frère, et c’était plaisir de voir la vivacité de leurs mutuelles félicitations. Parfois ils s’envolaient d’eux-mêmes pour se baigner ; mais quelque effort qu’ils fissent, ils ne pouvaient regagner le pont sans notre aide. Je m’étais attaché à ces pauvres

  1. À l’île de Cap-Breton, au sud du golfe Saint-Laurent.