Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/93

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bois ; dites qu’il ne connaît pas le danger, qu’on l’approche aisément et qu’on le tue de même… je vous écoute, mais c’est par pure complaisance. Moi, qui ai pu l’étudier si souvent et dans tant de circonstances, j’affirme que nous n’avons pas, dans les États-Unis, d’oiseau plus prudent, plus avisé et d’une vigilance plus remarquable. Pendant deux années entières passées, je puis dire, au milieu d’eux, puisqu’à cette époque j’en voyais, en quelque sorte, autant que je voulais, je ne suis jamais parvenu à en surprendre un seul, non pas même la nuit, quand ils étaient perchés sur leurs arbres, à près de cent pieds de haut, et parfois au milieu d’un vaste marais.

Un automne, lorsque je demeurais sur les bords du bayou Sara, désirant me procurer huit ou dix de ces Ibis pour en donner les peaux à mon savant et bon ami le prince Charles-Lucien Bonaparte, je pris avec moi deux domestiques, l’un et l’autre de vrais hommes des bois et de première force à la carabine ; et bien que nous eussions rencontré des centaines de ces oiseaux, il nous fallut trois jours pour en avoir une quinzaine ; encore furent-ils tués, pour la plupart, au vol, avec des balles et à plus de cent pas. Nous avions remarqué qu’une troupe venait se percher régulièrement au-dessus d’un vaste champ de blé couvert d’arbres énormes, dont les cimes chenues annonçaient l’entière décadence. Nous nous postâmes dans un coin de ce champ, cachés parmi les grandes tiges du blé mûr, et nous attendîmes en silence. Le soleil venait de se coucher, lorsque, sur un front étendu, parut la troupe des Ibis