Page:Augier - Théatre complet, tome 4.djvu/247

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Pierre.

À quel titre les aurais-je discutées ? Ce mariage n’était-il pas encore disproportionné pour moi ? D’ailleurs j’aurais rougi de défendre mes intérêts. Qu’importe, au surplus ? Ce n’est pas de là que viennent les douleurs de ma situation. Ma femme aurait un million de dot que je n’en serais pas moins sa créature aux yeux du monde et aux siens, et ce prêt de quinze cents francs n’aurait échappé au contrôle de ma belle-mère qu’en se cachant.

Michel.

C’est vrai. Plus j’y songe, plus je vois que le travail est ta seule ancre de salut.

Pierre.

Travailler ? Ah bien oui. Est-ce qu’on croit à mon avenir ? Est-ce qu’on s’en soucie ? La science est un dada qu’on me permet en souriant d’enfourcher à mes moments perdus.

Michel.

On te permet ! Sacrebleu ! n’es-tu pas le maître en somme ? n’es-tu pas le chef de la famille ? Puisqu’on te réduit à casser les vitres, casse-les. Parle ferme ; et si ta belle-mère veut te prendre par la famine, emmène ta femme.

Pierre.

Hélas ! quand ma femme m’aimerait assez pour me suivre, de quel droit lui infligerais-je la pauvreté, de quel droit la séparerais-je de sa mère ? Va, tu ne sais pas dans quels liens je piétine, dans quelles impossibilités je me débats ! Je n’ai pas un reproche à faire à ces dames ; c’est moi qui ai toujours tort ; moi, ou plutôt ma situation ! Ne viens-tu pas toi-même de donner raison à madame Bernier ? Eh bien, c’est ainsi pour tout et toujours !