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quels progrès a faits dans la pensée moderne, de 1830 à 1880, la pensée médiévale, car ce n’est pas seulement l’inégalité des génies qui s’impose ici.

Déjà Baudelaire, autre génie « en marge », donne en certains passages des Fleurs du Mal une note vraie du moyen âge, mais d’un moyen âge noir et tragique, espagnol ou diabolique, voisin de celui que Leconte de Lisle se plaît à peindre.

En prose, La Cathédrale de J.-K. Huysmans reste le principal des hommages modernes directs à l’esprit médiéval. Livre très inégal, souvent puéril, avec des pages merveilleuses, où s’équilibrent en un compromis singulier le mysticisme et le naturalisme. Avec tous ses défauts, cette œuvre religieuse est une œuvre d’écrivain. — Au théâtre, mais c’est un théâtre idéal et qui reste confiné aux limites du livre, M. Paul Claudel, dans L’Arbre, sans évoquer le moyen âge, en se maintenant, malgré les décors indiqués, hors du temps, suggère avec une extraordinaire intensité l’état d’âme religieux des siècles de foi.

On pourrait citer d’autres œuvres de mérite inspirées du même esprit. On n’en trouvera pas une — et c’est un fait curieux à noter et significatif — parmi ces innombrables objets de fausse piété dont les éditeurs soi-disant catholiques encombrent, en nous assurant que ce sont des livres, le marché de la librairie. Rien de plus étranger que ces produits, répugnants, à force d’insignifiance, non pas seulement à l’art en général, mais très particulièrement à l’art gothique, si hardiment simple, si robuste, si coloré, si riche de sève. Les auteurs de ces ouvrages édifiants ignorent la moitié des mots et ont peur des autres. Pour la nature, ils l’exècrent, ils la déforment ou la cachent. Ils tiennent école de mauvais goût et de mensonge.

L’art officiellement religieux, peinture et sculpture, a tout juste la même valeur que cette littérature officiellement religieuse. Sans même parler des choses sans nom qu’on fabrique à la grosse et que de considérables marchands débitent dans un certain quartier de Paris, les œuvres des « artistes religieux » les plus renommés n’ont rien de commun avec aucune religion ni avec aucun art. Les successeurs d’Overbeck et de Flandrin ne les valent même pas. Une tentative honorable de restauration d’art chrétien s’est produite, il y a plus de vingt ans, à Beuron, dans un couvent bénédictin de Bavière ; elle a échoué ; on n’y tenait, du reste, aucun compte de l’art gothique.

On sent dans quelle pensée nous faisons ces constatations. Ce n’est certes pas