Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/143

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injuriée et calomniée. Cette magnifique robe de pierre, qui eût pu la défendre devant l’avenir, est tombée en lambeaux chez les marchands, et le fait odieux n’irrite, ne surprend personne.

Le génie de la race achèvera-t-il donc de passer comme ces fantômes et ces formes évanouies que l’on ne recherche plus ? Est-il historique, est-il mythique, le temps où la Cathédrale, ramant de ses contreforts l’espace, toutes voiles dehors, nef française, victoire française, belle comme pour l’éternité, ouvrait à son abside les ailes d’un groupe d’anges agenouillés ?

Personne ne défend nos Cathédrales.

Le poids de la vieillesse les accable, et sous prétexte de les guérir, de « restaurer » ce qu’il ne devrait que soutenir, l’architecte leur change la face.

Devant elles les foules s’arrêtent, en silence, incapables de comprendre la splendeur de ces immensités architecturales, admirant néanmoins, instinctivement. Oh ! l’admiration muette de ces foules ! Je voudrais leur crier qu’elles ne se trompent pas ; oui, nos Cathédrales françaises sont très belles ! Mais leur beauté n’est plus facile à comprendre. Étudions-la ensemble et la compréhension vous viendra comme elle m’est venue.

Et les moyens de comprendre sont autour de vous. La Cathédrale est la synthèse du pays. Je le répète : roches, forêts, jardins, soleil du Nord, tout cela est en raccourci dans ce corps gigantesque, toute notre France est dans nos Cathédrales, comme toute la Grèce est en raccourci dans le Parthénon.

Hélas ! nous sommes au soir de leur grande journée. Ces aïeules meurent, et elles meurent martyrisées.

Renan a prié sur l’Acropole. Cela ne tente donc personne, de vous célébrer aussi, de vous protéger, Chartres, Amiens, Le Mans, Reims, merveilles françaises ? Nous n’avons donc pas un nouveau poète pour prier sur nos Cathédrales, ces vierges douloureuses, toutes atteintes, toutes sublimes encore ?…

Mais l’architecture ne nous touche plus. Les chambres où nous acceptons de vivre n’ont plus de caractère. Ce sont des boîtes remplies de meubles pêle-mêle ; le « style » Amoncellement règne partout. Comment pourrions-nous comprendre l’unité profonde de la grande symphonie gothique ?