Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/258

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déjà le chef-d’œuvre tout entier ! Et son visage, où l’âme divine, la force, la fraîcheur, la grâce se réunissent comme dans leur demeure de prédilection, comme dans le lieu de nos admirations !

Voilà le miel que j’ai amassé dans mon cœur. Je vis dans la gratitude perpétuelle, envers Dieu et envers ses admirables créatures, ses éloquentes envoyées.

D’autres voudront jouir du même bonheur. Et je sais bien que d’autres déjà, dans ce même moment comme dans tous les siècles, adorent avec moi la beauté.

Elle ne périra pas.


Me sera-t-il permis d’insister, un instant, sur les joies que me donnent les chefs-d’œuvre et mes propres travaux ? — Il y a là, peut-être, un exemple…


Accoudé à ma fenêtre, dans mon ermitage de Meudon, je baigne mon front dans la vapeur du matin. Toutes les pensées sombres s’éloignent, je cède à la douceur de cette belle heure du printemps. — Je sais que mon peuple de statues m’attend, pour se laisser voir, et pour travailler avec moi.

Mais je m’arrêterai d’abord dans mon petit musée, où sont réunis de beaux morceaux de toutes les époques. Beaucoup de mes sculptures sont parmi ; on les distingue, bien que, d’instinct, je me rapproche toujours de la Tradition. — Originalité est un mot vide, un mot de bavard et d’ignorant, qui a perdu bien des élèves et des artistes. Il nous est impossible, à nous, sculpteurs, d’avoir de l’originalité. Nous sommes des copistes. Les Gothiques n’ont eu tant de fécondité que parce qu’ils copiaient la nature. Nous sommes des hommes d’étude.

L’Étude est une sœur très douce, qui ne vous quitte jamais. Elle vous tient compagnie même quand vous ne l’invitez pas au travail. Et qu’il faut peu de chose pour préciser son attention et la rendre utile !

Ce petit musée que j’abandonne si ingratement, à l’ordinaire — on m’assure tous les jours que des affaires de première importance m’appellent ailleurs… — me retient aujourd’hui. Il est dans une pénombre délicieuse ;