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Le sacristain, en allumant un cierge, a déplacé les ombres… Il y a un trésor ici, le trésor de l’ombre accumulée par la nuit. Il cache le trésor de l’église…


Comme nous arrivions à la porte, ce décor gigantesque s’est avancé vers nous : l’immense salle nous semblait préparée pour un banquet de dieux infernaux.

Puis, la petite porte de l’église s’est fermée. Vision disparue. Tout est confié maintenant à notre mémoire.


II


De ma fenêtre.

Avant de me diriger vers l’église pour lui faire encore une visite nocturne, je la contemple, de la fenêtre de cette chambre que j’ai choisie toute voisine de la colossale merveille.

Constructions chargées de pensées ! Accumulations de pensées sur cette façade, sur ce bas-relief, dont je ne vois de ma fenêtre qu’une partie. Quelle race a fait cela ? Des milliers d’années, de siècles ont ici leur portrait. C’est un visage de l’infini humain.


Dans l’église.

Des profondeurs de la nef, du chœur tout entier, on se sent comme repoussé par l’ombre, d’où sourdent confusément des formes terrifiantes. Et je crois entendre une voix irritée qui m’apostrophe :

— Qui donc ose empiéter sur ma solitude ? Ne suis-je plus la Vierge de la Nuit ? Mes ténèbres ne sont-elles plus à moi ? Qui donc ose pénétrer ici ?

Je sentais que je violais les droits du silence, qu’une main sacrilège m’ouvrait le cœur de ce silence sacré. Mais l’artiste sait comprendre et il n’est pas, ici, un profane.

On sent partout d’immuables assises. Tout est sécurité. Les piliers sont des certitudes. C’est l’admiration figée en colonnes altières, toutes alignées comme une armée.