Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/425

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


De ma fenêtre.

À regarder de nouveau la Cathédrale à travers ma fenêtre, je vois un rideau de pierre. Les sculptures sont les broderies du rideau. — Faust mériterait le privilège de vivre dans cette chambre, à cette fenêtre, à l’ombre, à la porte du chef-d’œuvre dont la splendeur exalte cette rue, cette ville, ce pays…

L’immense bas-relief est toujours là, dans la nuit ; je ne puis le distinguer, mais je le sens. Sa beauté persiste, et, triomphant de l’ombre, me fait admirer sa puissante harmonie noire : le bas-relief comble la baie de ma fenêtre, me cachant presque le ciel.

Comment expliquer que la Cathédrale, même enveloppée des voiles de la nuit, ne perde rien de sa beauté ? La puissance de cette beauté nous possèderait-elle donc au delà de nos sens ? L’œil voit-il sans voir ? Ce prestige est-il dû à la vertu du monument, au mérite de son immortelle présence, de sa tranquille splendeur ? La merveille agit sur la sensibilité au delà du domaine réduit d’un organe particulier, grâce à l’intervention de la mémoire. Quelques points de repère suffisent, et l’esprit, averti, subit l’autorité légitime de l’œuvre, s’ouvre à l’influence sublime, qu’il reconnaît, malgré l’imprécision, dans la régularité de la forme générale, — mais que tout de même il ne parvient pas à déchiffrer : il attend la révélation.


AUTRE CATHÉDRALE


Je marche dans l’antiquité la plus reculée…

En bas, une petite lumière dessine une couronne… et les colonnes semblent les colonnes de la Nuit.

Portée par le sacristain, la lumière pénètre dans les ténèbres comme un soc de charrue dans des mottes de terre. Elle s’enfonce, et l’ombre frémit, à gauche et à droite : elle passe, et les blocs d’ombres se referment sur ce sillon de lueur.

En haut, stalactites d’ombres croulantes ! Stalactites d’ombres tombant dans une mare d’ombre qui, elle-même, s’accroît au contraste de la clarté.