Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/499

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… Elle avait toute sa racine dans ma main. Mais la communication avec la terre était interrompue. L’amour ne peut accepter la séparation. — Pourquoi nous étonner qu’elle soit morte en moins d’une demi-heure ? Vivrions-nous plus longtemps qu’elle loin des éléments nécessaires de la vie ?


Quand la feuille va mourir, son cloisonné devient plus sensible, plus saillant ; comme les veines du vieillard. Elle s’enroule, se crispe. Mais ses transformations lui laissent sa beauté, et ses modelés morbides sont ceux d’une Joconde.

Puis, elle se détache, elle tombe, sans résistance.


Voyez, ces fleurs sont en catalepsie. Quand la feuille devient vieille, elle prend un aspect de fleur artificielle : l’âme s’est évaporée. Toujours ainsi la fleur se raidit, se durcit avant d’arriver à la folie, à la mort des pétales.

Jeune, elle ramène, rassemble ses pétales, elle cache son cœur. Vieille, lamentable, si on la tient droite sur son culot, elle tombe, les pétales écartés. Mais elle meurt en produisant la vie.

Est-ce de la même manière que se transforme la société ? On croit tout perdu, et on ne voit pas le bien, le travail qui prépare le fruit, comme notre mort ou notre maladie produit de la vie ou de la santé…


Quand les plantes se fanent, elles perdent tout respect réciproque, elles se touchent, se bousculent, tombent les unes sur les autres. En bonne santé, elles observent toujours entre elles les distances.

Elles se tiennent droites, mais avec élasticité, flexibilité, avec je ne sais quoi d’aérien, quelque chose comme l’élastique et souriant équilibre balancé de la danseuse, qui cherche l’hommage, qui l’appelle. Quelle beauté peu appuyée, et toujours pressée de s’offrir !

Je crois qu’elles sont fières de leur souveraineté, et j’adore leur orgueil.


Deux fleurs malades ; l’une s’appuie sur l’autre en passant devant elle, et celle-ci soutient sa sœur, en se penchant elle-même. Il y a de la tristesse et de la tendresse.