Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/53

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garde de vertu artistique dans la mêlée des races qui l’emplissent et dont les conflits précipitent sa décadence, est toute conquise par le génie grec. Il n’est pas bien sûr que la basilique adoptée par les chrétiens soit d’origine purement romaine. Ce qu’il y a de plus authentiquement romain dans les églises primitives d’Occident, ce sont les marbres antiques, non pas choisis comme modèles, mais dérobés par les armées de l’invasion et employés tels quels, à titre d’ornements, par les décorateurs des basiliques. Et la mine où ces trésors furent pillés n’est pas inépuisable ; le temps viendra bientôt où, par son dénûment même, l’Occident sera mis en demeure de faire appel à ses propres ressources, à son personnel génie, et ce ne sera pas la moindre des excitations auxquelles nous devrons les logiques nouveautés du XIIe siècle. C’est à ce même moment que s’exercera l’influence des vraies traditions romaines, auxquelles on demandera les secrets du traitement des voûtes et de l’appareillage. Mais Rome, — si tant est qu’on puisse, et nous venons d’indiquer que c’est un sujet de controverse, reconnaître le style romain dans la basilique primitive — n’a rien, en ces temps-là, donné de plus aux chrétiens que cette basilique, nûment.

Autrement précieux, considérable, que ce simple fait, brutal, des quatre murs de la grande maison, est l’apport décoratif des Barbares, surtout si l’on observe, comme nous l’avons noté, que les chrétiens carolingiens réservent pour l’intérieur de la basilique toutes leurs ressources plastiques, tout leur effort vers la beauté.

Ce n’est pas seulement la conscience ou l’instinct des limites de leur conception et de leurs moyens d’exécution qui leur avait prescrit ce parti, c’est aussi un sentiment singulièrement lucide de l’ordre selon lequel il convenait de procéder à l’élaboration de leur pensée et de leur œuvre. Que signifient, en effet, les dehors d’un monument, sinon ce qu’il contient ? Je dois deviner sa destination à son aspect ; le contenant se modèle sur le contenu. Il s’agissait donc, avant toutes choses, de préciser ce contenu, de le développer, d’en accumuler les signes expressifs. C’est à quoi la communauté entière des fidèles s’appliqua durant des siècles. Avant même que l’édifice religieux eut réuni ses membres séparés, son intérieur avertissait quiconque y pénétrait que là s’accomplissaient des choses graves et saintes ; tout y sentait la règle et cette si spéciale austérité, mystique et sensuelle, concise et emphatique, qui caractérisera toujours le culte chrétien. Cette église est un théâtre (son ordonnance ne manque pas d’analogies avec le théâtre