Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/82

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justes, et tous ceux qui, depuis le commencement du monde, ont travaillé à édifier la cité sainte y ont leur place[1]. » Présence réelle de Dieu, assistance des anges et de leur reine, merveilles d’art et matières riches auxquelles les plus grands rois du monde n’ont rien à comparer, cérémonies qui passent en beauté toutes les fêtes humaines, l’orgue et les chants qui sont comme des réalisations anticipées de l’éternelle promesse, et le verbe du Christ, de qui le corps dessine la profonde croix creuse, retentit dans sa propre tête, le chevet, avec la parole vibrante des prêtres. — C’est le monde. « La Cathédrale, comme la plaine, comme la forêt, a son atmosphère, son parfum, sa lumière, son clair-obscur, ses ombres. Sa grande rose derrière laquelle le soleil se couche, semble être, aux heures du soir, le soleil lui-même, prêt à disparaître à la lisière d’une forêt merveilleuse. Mais c’est un monde transfiguré, où la lumière est plus éclatante que celle de la réalité, où les ombres sont plus mystérieuses[2]. » — C’est la France. Les formes de la Cathédrale sont nées de la flore du pays, sa méthode et sa pensée du génie de la race. « Sans doute, les idées qui ont pris corps dans nos Cathédrales ne nous appartiennent pas en propre : elles sont le patrimoine commun de l’Europe catholique. Mais la France se reconnaît à sa passion de l’universel. Seule, elle a su faire de la Cathédrale une image du monde, un abrégé de l’histoire, un miroir de la vie morale. Ce qui appartient encore à la France, c’est l’ordre admirable qu’elle a imposé à cette multitude d’idées comme une loi supérieure. Les autres Cathédrales du monde chrétien, qui toutes sont postérieures aux nôtres, n’ont pas su dire tant de choses, ni les dire dans un si bel ordre. Il n’y a rien en Italie, en Espagne, en Angleterre qui puisse se comparer à Chartres[3]. » — C’est un arbre. Un arbre de la forêt française, auquel les artistes ont gardé toute sa vie, toute celle qu’il puise dans sa terre par ses racines, et toute celle qu’ajoutent à ses branches et à ses feuilles les innombrables créatures dont elles sont l’abri, « un arbre gigantesque, plein d’oiseaux et de fleurs » et moins comparable « à une œuvre des hommes qu’à une œuvre de la nature[4] », et un arbre de la forêt mystique, où l’Église a taillé la Nef qui vogue le cap sur l’Orient, l’esquif dont Pierre est le nocher, l’arche que battent en vain les flots du déluge, l’Arche de l’Alliance.

  1. Émile Mâle, L’Art religieux du XIIIe siècle en France.
  2. Id.
  3. Id.
  4. Id.