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LIVRE V. — ANCIENNES MŒURS DES ROMAINS.

pas ces biens temporels comme l’objet suprême de la félicité. Nous appelons les princes heureux quand ils font régner la justice, quand, au milieu des louanges qu’on leur prodigue ou des respects qu’on leur rend, ils ne s’enorgueillissent pas, mais se souviennent qu’ils sont hommes ; quand ils soumettent leur puissance à la puissance souveraine de Dieu ou la font servir à la propagation du vrai culte, craignant Dieu, l’aimant, l’adorant et préférant à leur royaume celui où ils ne craignent pas d’avoir des égaux ; quand ils sont lents à punir et prompts à pardonner, ne punissant que dans l’intérêt de l’État et non dans celui de leur vengeance, ne pardonnant qu’avec l’espoir que les coupables se corrigeront, et non pour assurer l’impunité aux crimes, tempérant leur sévérité par des actes de clémence et par des bienfaits, quand des actes de rigueur sont nécessaires ; d’autant plus retenus dans leurs plaisirs qu’ils sont plus libres de s’y abandonner à leur gré ; aimant mieux commander à leurs passions qu’à tous les peuples de la terre ; faisant tout cela, non pour la vaine gloire, mais pour la félicité éternelle, et offrant enfin au vrai Dieu pour leurs péchés le sacrifice de l’humilité, de la miséricorde et de la prière. Voilà les princes chrétiens que nous appelons heureux, heureux par l’espérance dès ce monde, heureux en réalité quand ce que nous espérons sera accompli.

CHAPITRE XXV.
DES PROSPÉRITÉS QUE DIEU A RÉPANDUES SUR L’EMPEREUR CHRÉTIEN CONSTANTIN.

Le bon Dieu, voulant empêcher ceux qui l’adorent en vue de la vie éternelle de se persuader qu’il est impossible d’obtenir les royaumes et les grandeurs de la terre sans la faveur toute-puissante des démons, a voulu favoriser avec éclat l’empereur Constantin, qui, loin d’avoir recours aux fausses divinités, n’adorait que la véritable, et le combler de plus de biens qu’un autre n’en eût seulement osé souhaiter. Il a même permis que ce prince fondât une ville, compagne de l’empire, fille de Rome, mais où il n’y a pas un seul temple de faux dieux ni une seule idole. Son règne a été long[1] ; il a soutenu, seul, le poids immense de tout l’empire, victorieux dans toutes ses guerres et fortuné dans sa lutte contre les tyrans[2]. Il est mort dans son lit, chargé d’années, et a laissé l’empire à ses enfants[3]. Et maintenant, afin que les empereurs n’adoptassent pas le christianisme par la seule ambition de posséder la félicité de Constantin, au lieu de l’embrasser comme on le doit pour obtenir la vie éternelle, Dieu a voulu que le règne de Jovien fût plus court encore que celui de Julien[4], et il a même permis que Gratien tombât sous le fer d’un usurpateur[5] : plus heureux néanmoins dans sa disgrâce que le grand Pompée, qui adorait les dieux de Rome, puisque Pompée ne put être vengé par Caton, qu’il avait laissé pour ainsi dire comme son héritier dans la guerre civile. Gratien, au contraire, par une de ces consolations de la Providence dont les âmes pieuses n’ont pas besoin, Gratien fut vengé par Théodose, qu’il avait associé à l’empire, de préférence à son propre frère[6], se montrant ainsi plus jaloux de former une association fidèle que de garder une autorité plus étendue.

CHAPITRE XXVI.
DE LA FOI ET DE LA PIÉTÉ DE L’EMPEREUR THÉODOSE.

Aussi Théodose ne se borna pas à être fidèle à Gratien vivant, mais après sa mort il prit sous sa protection son frère Valentinien, que Maxime, meurtrier de Gratien, avait chassé du trône ; et avec la magnanimité d’un empereur vraiment chrétien, il entoura ce jeune prince d’une affection paternelle, alors qu’il lui eût été très-facile de s’en défaire, s’il eût eu plus d’ambition que de justice. Loin de là, il l’accueillit comme empereur et lui prodigua les consolations. Cependant, Maxime étant devenu redoutable par le succès de ses premières entreprises, Théodose, au milieu des inquiétudes que lui causait son ennemi, ne se laissa pas entraîner vers des curiosités sacriléges ; il s’adressa à Jean, solitaire d’Égypte, que la renommée lui signalait comme rempli de l’esprit de prophétie, et reçut de lui l’assu-

  1. Constantin a régné trente et un ans. Voyez Orose, lib. vii, cap. 26.
  2. Les tyrans Maxime et Licinius.
  3. Constance, Constantin et Constant. Voyez la Vie de Constantin le Grand par Eusèbe.
  4. Jovien a régné sept mois, Julien dix-huit mois environ. Voyez Eutrope, lib. x, cap. 9.
  5. Gratien fut tué par Andragathius, préfet du tyran Maxime. Voyez Orose, Hist., lib. VII, cap. 34.
  6. Valentinien.