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chapitre vingt-huitième.

tonie, veuve d’un préfet du prétoire, et mère de trois consuls[1]. Proba n’était parvenue qu’au prix des plus grands sacrifices à garder l’honneur de sa fille Julienne, à laquelle l’évêque d’Hippone dressa plus tard un livre sur le veuvage, et l’honneur de sa fille Démétriade, dont le nom est célèbre dans les annales religieuses de la première moitié du cinquième siècle.

Proba avait demandé à Augustin de vouloir bien lui écrire quelque chose sur la prière l’évêque le lui avait promis, l’accomplissement de cette promesse donna lieu à une de ses plus belles lettres[2]. L’évêque d’Hippone disait à l’illustre et pieuse dame romaine que, malgré les anathèmes et les sentences de l’Évangile, les riches pourraient aussi entrer dans le royaume des cieux ; une parole de Jésus-Christ, qui avait effrayé ses disciples sur le sort du genre humain, proclama l’impossibilité du salut des riches ; mais le Sauveur ajouta : Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu. Cette lettre nous offre de douces paroles sur les consolations qu’on peut tirer des gens de bien. Dans la pauvreté et l’affliction, dans les douleurs du corps ou de l’exil, dans quelque misère qu’on soit, si l’on a auprès de soi des gens de bien qui sachent pleurer avec ceux qui pleurent et se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, qui ont un langage en harmonie avec chacun de nos besoins, alors l’amertume des maux s’adoucit, leur poids devient moins lourd, et nous nous trouvons assez forts pour triompher de nos épreuves. Augustin ne veut pas qu’on oublie que Dieu seul est la source et le père de toute consolation. Tant que nous sommes dans les ténèbres de cette vie mortelle, loin du Seigneur et de la patrie, marchant dans l’obscurité de la foi et non pas dans la claire vision, nous ne devons pas perdre de vue notre pauvreté ; l’âme chrétienne ne cessera pas de prier. En attendant le lever du jour et la lumière de l’étoile du matin, l’âme tient son regard attaché sur les saintes Écritures comme sur un flambeau posé en un lieu obscur. L’évêque appelle cette vie une vie mourante, véritable terre déserte, sans chemin et sans eau, malgré les consolations passagères qu’on s’y donne, malgré la foule des voyageurs avec qui l’on marche, et l’abondance des faux biens dont on y jouit. Augustin, arrivant à la prière, cette mystérieuse affaire qui se traite plutôt par des gémissements et des larmes que par des paroles, enseigne à l’illustre Romaine ce qu’on doit demander à Dieu, et lui montre que tous nos besoins sont renfermés dans l’Oraison dominicale. Ce n’est pas la longueur du discours, mais le mouvement du cœur, qui doit faire durer la prière. Les prières des solitaires d’Égypte étaient fréquentes, mais courtes ; c’étaient des élans vers Dieu. Les solitaires craignaient que la ferveur de l’âme ne vînt à s’affaiblir dans une oraison trop prolongée. Le saint évêque conjure Proba de prier pour lui.

Une pieuse correspondance s’était établie entre Augustin et Proba. Dans une de ses lettres, la mère de Julienne exprimait à l’évêque les ennuis d’une âme que sa captivité dans un corps mortel entraînait vers la terre ; ainsi courbée et affaissée, l’âme se porte plutôt vers les objets d’en bas que vers l’objet unique placé dans les hautes régions, et principe de tout bonheur. Augustin, répondant à cette lettre au commencement de l’année 412, cite l’Écriture[3], qui nous montre l’âme appesantie par le corps corruptible : cette maison de terre abat l’esprit, qui est fait pour beaucoup penser. Le divin maître, dont la puissante parole redressa une femme courbée depuis dix-huit ans[4], est venu pour nous rendre capables de comprendre ce chant de nos saints mystères : Que nos cœurs s’élèvent en haut ! et pour nous faire dire avec vérité : Nous tenons nos âmes élevées vers le Seigneur[5] ! Augustin termine en rendant grâces à Proba de l’intérêt bienveillant qu’elle prenait à sa santé toujours débile.

Possidius rapporte, sans date précise, un fait curieux qui pourrait correspondre à l’époque où nous sommes dans ce travail. Un jour ; tandis que Possidius et tous ses frères du monastère d’Hippone étaient à table, Augustin, l’homme de Dieu, leur dit : « Vous avez dû remarquer qu’aujourd’hui à l’église le commencement et la fin de mon sermon se sont produits d’une façon contraire à mes habitudes, car j’ai laissé inachevé ce que j’avais d’abord entrepris d’expliquer et de montrer. — En effet, lui répondirent les frères, nous avons été tout surpris. — Je crois, poursuivit Augustin, que Dieu, entre les mains de qui sont nos personnes et nos discours, a voulu se servir de notre oubli et de notre distrac-

  1. Probin, Olybrius et Probe.
  2. Lettre 130.
  3. Livre de la Sagesse, IX, 15.
  4. Luc, XIII, 12.
  5. Préface de la messe.