Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/396

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ples imitaient Sodome, ils seraient tenus de la même culpabilité devant la loi divine, qui n’a pas fait les hommes pour user ainsi d’eux-mêmes. Car c’est violer l’alliance qui doit être entre nous et Dieu, que de profaner par de vils appétits de débauche la nature dont il est l’auteur.

Pour les délits contraires aux coutumes locales, ils se doivent éviter selon la diversité des mœurs : le pacte social établi dans une ville, chez un peuple, par l’usage ou la loi, ne saurait être enfreint suivant le caprice d’un citoyen ou d’un étranger. Il y a difformité dans toute partie en désaccord avec son tout.

Mais quand Dieu ordonne contre la coutume, contre la loi, où que ce soit, c’est chose à faire, n’eût-elle jamais été faite ; à renouveler, si elle est oubliée ; n’est-elle pas établie ? il faut l’établir. S’il est permis à un roi, dans la ville où il règne, d’ordonner ce que nul avant lui et ce que lui-même n’avait point encore voulu ; lui obéir, ce n’est pas violer l’ordre de la ville, c’est le violer plutôt, que de ne pas lui obéir ; car le pacte fondamental de la société humaine est l’obéissance aux rois. Combien donc est-il plus raisonnable de voler à l’exécution des volontés du grand Roi de l’univers ? Dans la hiérarchie des pouvoirs humains, la préséance de l’autorité supérieure sur la moindre est reconnue par le sujet ; à Dieu la préséance absolue.

16. Même réprobation de tout crime où se trouve le désir de nuire par propos outrageants, par acte de violence, soit inimitié vindicative, soit convoitise d’un bien étranger qui précipite le brigand sur le voyageur, soit précautions de la peur fatales à qui l’inspire, soit envie du misérable qui jalouse un heureux, de l’heureux qui craint ou souffre de trouver un égal ; soit simple goût du mal d’autrui, qui séduit les spectateurs des combats de l’arène, et les rieurs et les railleurs. Voilà les grands chefs d’iniquité qui ont leurs racines dans la triple concupiscence de dominer, de voir, de sentir, tantôt séparées, tantôt réunies. Et la vie est mauvaise, qui s’élève contre les nombres trois et sept, contre l’harmonieuse harpe à dix cordes, votre décalogue, ô Dieu, toute puissance et toute suavité !

Mais quels crimes peuvent vous atteindre, vous que rien ne corrompt ? Quels forfaits vous intéressent, vous à qui rien ne peut nuire ? Et néanmoins vous vous portez vengeur de tout ce que les hommes attentent contre eux-mêmes, parce qu’en vous offensant ils traitent leurs âmes avec impiété, car l’iniquité est infidèle contre elle-même ; parce qu’ils dépravent ou ruinent leur nature que vous avez faite et ordonnée, soit par l’abus des choses permises, soit par l’impur désir et l’usage contre nature des choses défendues ; parce qu’ils entreprennent contre vous dans les révoltes de leur cœur et les blasphèmes de leur parole, et regimbent contre l’aiguillon ; parce que, brisant toutes les barrières de la société humaine, ils s’applaudissent avec audace des factions et des cabales qu’élève leur intérêt ou leur ressentiment.

Et ces désordres arrivent, lorsqu’on vous abandonne, source de la vie, seul et véritable créateur et modérateur du monde ; lorsqu’un orgueil privé poursuit d’un amour étroit un objet d’erreur. Aussi n’est-ce que par l’humble piété qu’on a retour vers vous ; vous nous délivrez alors de l’habitude du mal. Propice à l’aveu du pécheur, vous exaucez les gémissements de l’esclavage ; vous brisez les fers que nous nous sommes forgés à nous-mêmes, pourvu que nous ne dressions plus contre vous cette corne infernale d’une fausse liberté, jaloux d’avoir davantage, au risque de tout perdre, préférant notre bien particulier à vous, seul Bien de tous les êtres.

Chapitre IX.

dieu juge autrement que les hommes.

17. Mais en outre de cette multitude de souillures et d’iniquités, il est des péchés commis dans les voies de retour, qui, justement blâmés suivant la lettre de la loi de perfection, trouvent faveur comme espérance du fruit à venir, comme l’herbe présage de la moisson. Et il est des actes qui, coupables en apparence, sont néanmoins innocents parce qu’ils ne portent atteinte ni à vous, Seigneur mon Dieu, ni à la société civile ; ainsi certaines satisfactions dominées à l’entretien de la vie, selon les habitudes d’une époque, sans qu’on ait sujet d’accuser une convoitise déréglée ; ainsi l’exercice rigoureux d’une autorité légitime, imputable au désir de réprimer plutôt qu’au besoin de nuire. Combien d’actions répréhensibles aux yeux des hommes, autorisées par votre témoignage ; combien louées par eux, que votre justice condamne ? si différentes sont souvent