Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/430

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Car il fallait admettre qu’une plus grande partie de la terre en contenait une plus grande de vous, et une plus petite, une moindre, votre présence se distribuant de manière qu’il en tenait plus dans le corps de l’éléphant que dans celui du passereau ; beaucoup plus grand, il prenait beaucoup plus de place ; et ainsi les divisions de votre essence se proportionnaient aux inégalités des corps. Et toutes fois il n’en est pas ainsi ; mais vous n’aviez point encore éclairé mes ténèbres.

Chapitre II. Objection de Nebridius contre les manichéens.

3. Il me suffisait, Seigneur, pour confondre ces imposteurs dupes, et ces bavards muets, car leur bouche est toujours muette pour votre Verbe ; il me suffisait de cette objection que Nebridius, à Carthage même, leur présentait d’ordinaire, et qui avait fortement remué tous ceux qui, comme moi, l’avaient entendue. Qu’aurait pu faire contre vous, leur demandait-il, cette nation de ténèbres qu’ils vous opposent comme une armée ennemie, si vous n’eussiez pas voulu combattre contre elle ? Si l’on répond qu’elle pouvait nuire, vous n’êtes plus ni inviolable, ni incorruptible. Si l’on convient de son impuissance, on ne peut plus apporter aucune raison à cette lutte ; lutte si opiniâtre, qu’une partie de vous-même, un de vos membres, une production de votre propre substance engagée parmi ces puissances ennemies et les natures indépendantes de votre création, s’y trouve infectée d’une telle corruption, que, précipitée de la béatitude dans la misère, elle a besoin d’un libérateur et d’un purificateur : or, à les en croire, cette partie de vous-même est l’âme de l’homme, que votre Verbe vient, libre, délivrer de ses chaînes ; pur, de ses souillures ; intact, de sa corruption, et toutefois corruptible lui-même, puisqu’il n’est qu’une seule et même substance avec elle.

Donc, s’ils reconnaissent que tout ce que vous êtes, c’est-à-dire la substance dont vous êtes, est incorruptible, toutes leurs hypothèses sont fausses. et odieuses. S’ils vous tiennent pour corruptible, cela seul est un blasphème, abominable à proférer. C’était assez pour se presser la poitrine avec dégoût et vomir ces pernicieux docteurs, qui, renfermés dans un cercle dont ils ne pouvaient sortir sans un horrible sacrilège de cœur et de langue, étaient condamnés à penser et à parler ainsi de vous.

Chapitre III, Peine qu’il éprouve à concevoir l’origine du mal.

4. Mais tout en vous reconnaissant incapable de souillure, d’altération et de changement, si ferme que je fusse dans la croyance que vous êtes notre Seigneur, vrai Dieu, créateur de nos âmes et de nos corps, et non-seulement des âmes et des corps, mais de tout être et de toute chose, je ne saisissais pas encore toutefois le nœud de l’origine du mal. Et néanmoins, quelle qu’elle fût, je sentais que je devais conduire mes réflexions avec assez de prudence pour ne pas être réduit à trouver le Dieu immuable sujet au changement, et à ne point me laisser surprendre par l’objet de ma poursuite. Et j’y songeais avec sécurité, certain qu’il n’y avait qu’erreur dans les discours de ces hommes que je fuyais de toute mon âme parce qu’il était évident pour moi qu’ils recherchaient la cause du mal en esprit de malice, aimant mieux croire votre substance susceptible de le souffrir, que la leur capable de le faire.

5. Et je m’appliquais à saisir cette vérité souvent affirmée devant moi, que le libre arbitre de la volonté est la cause du mal de nos actions, et l’équité de vos jugements, du mal de nos souffrances. Mais ici ma faible vue s’obscurcissait. En vain je travaillais à retirer les yeux de mon âme de cet abîme de ténèbres, j’y plongeais de nouveau ; et je réitérais mes efforts, et je plongeais toujours.

Une chose me soulevait un peu vers votre lumière, c’est que je n’étais pas plus certain de vivre que d’avoir une volonté. Ainsi, quand je voulais ou ne voulais pas, j’avais toute certitude que ce n’était pas autre que moi qui voulait ou ne voulait pas ; et je soupçonnais déjà que là résidait la cause de mon péché. Quant aux actes où je me portais malgré moi, je me sentais plutôt souffrir qu’agir, et je présumais que c’était moins une faute qu’un châtiment, dont je me reconnaissais justement frappé, en songeant à votre justice.

Mais je me demandais ensuite : Qui m’a fait ? n’est-ce pas mon Dieu qui est bon, qui est la bonté même ? D’où m’est venu de vouloir le mal, de ne pas vouloir le bien, mon crime, (418) mon supplice ?