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chapitre quatorzième.

CHAPITRE QUATORZIÈME.




Réponse à une lettre de Manichée. — Lettre à Glorius, etc. — Conférence avec Fortunius à Tubtirsum.

Augustin, évêque, continua sa lutte contre le manichéisme. Obligé de porter tout le poids du gouvernement de l’Église d’Hippone, après la mort de Valère, il fit marcher de front la polémique et les devoirs d’un premier pasteur. Il y avait une lettre de Manichée qu’on appelait la Lettre du fondement, parce qu’elle renfermait toutes les opinions ou croyances de la secte. Augustin prit une à une toutes les idées qui s’y trouvaient exprimées, et les réfuta[1]. Il commença par contester à Manichée le titre d’apôtre de Jésus-Christ dont il s’était couvert comme d’un bouclier pour protéger ses erreurs, et prouva qu’il avait usurpé aussi le titre de Paraclet. Il combattit la doctrine des deux principes et l’hypothèse de leur combat avant la création du monde, montra la fausseté des promesses de Manichée, qui avait prétendu tout expliquer, et fit comprendre aux esprits les moins pénétrants que la nature de l’âme humaine ne pouvait pas être confondue avec la substance divine. Au début de son livre, Augustin « prie le seul vrai Dieu tout-puissant, de qui toute chose est tirée, par qui et en qui toute chose subsiste, de lui donner un esprit de bienveillance et de paix dans la poursuite de l’hérésie des manichéens. » Il ne s’agit pas de perdre, mais de ramener ceux qui sont dans l’erreur.

« Que ceux-là s’irritent contre vous, dit admirablement Augustin aux manichéens, qui ne savent pas combien il en coûte pour trouver la vérité, avec quelle difficulté on se garantit des erreurs ; qui ne savent pas par quels laborieux efforts on s’élève, à l’aide de la sérénité d’un esprit pieux, au-dessus des images matérielles. Que ceux-là s’irritent contre vous, qui ignorent combien il est malaisé de guérir l’œil de l’homme intérieur, en sorte qu’il puisse regarder son soleil : ce soleil n’est pas celui que vous adorez avec les yeux de la chair et qui brille également pour les hommes et pour les animaux ; mais c’est le soleil dont il est dit dans le Prophète[2] : Le soleil de la justice s’est levé pour moi. C’est le soleil dont il est dit dans l’Évangile : C’était la véritable lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[3]. Que ceux-là s’irritent contre vous qui ne savent pas ce qu’il faut de soupirs et de gémissements pour comprendre quelque chose de Dieu. Que ceux-là enfin s’irritent contre vous, qui ne sont pas tombés dans vos erreurs. Pour moi, qui, tant et si longtemps ballotté, ai pu reconnaître ce que c’est que cette vérité qui se perçoit sans le mélange des fables vaines ; pour moi malheureux, qui ai pu mériter à peine d’être délivré de vos imaginations, de vos systèmes, de vos erreurs, qui, pour écarter les ténèbres de mon intelligence, me suis soumis si tard aux caressantes invitations du plus doux des médecins ; moi qui ai pleuré si longtemps pour qu’il me fût donné de croire à cette substance immuable et pure dont nous parlent les livres divins ; moi, qui ai recherché avec tant de curiosité, écouté avec tant d’attention, cru avec tant de témérité, prêché avec tant d’ardeur et défendu avec tant d’opiniâtreté toutes ces rêveries qui vous occupent et vous enchaînent, je ne puis m’irriter contre vous ; je dois vous supporter maintenant comme on m’a supporté au temps de mes erreurs ; je dois agir à votre égard avec la même patience que m’ont montrée mes proches, alors que j’errais en aveugle et en furieux dans vos croyances. »

Cette façon d’entrer en lice avec des adversaires est un spectacle d’une beauté morale toute saisissante. Nous n’en sommes plus à ces personnages de la poésie s’injuriant avant d’en venir aux mains ; nous sommes également loin

  1. Contra epistolam Manichaei quam vocant fundamenti liber unus, année 397.
  2. Malach., IV.
  3. Saint Jean, I, 9.