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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/115

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conformité de sentiments, mais uniquement sur les choses humaines.

2. Et depuis que je cessai de désirer les biens humains, votre persistante amitié me souhaitait la santé et les félicités temporelles, comme le monde a coutume de le faire. C’est ainsi que notre union se continuait pour les choses de ce monde. Quelle est ma joie maintenant, et comment l’exprimer ? J’ai à présent pour ami véritable celui que j’ai eu longtemps pour ami d’une certaine manière. Il se joint à nos sentiments l’accord sur les choses divines ; ce n’est pas uniquement dans la vie présente que votre douce bienveillance est désormais avec moi, c’est par l’espérance de la vie éternelle. Vues de la hauteur des pensées de Dieu, les choses humaines ne sauraient plus être entre nous le sujet d’opinions différentes ; nous ne les prendrons que pour ce qu’elles valent ; nous ne les condamnerons pas toutefois avec ce certain mépris qui serait injurieux pour le Créateur du ciel et de la terre. Ainsi il arrive que des : unis, en désaccord sur les choses divines, ne peuvent plus être pleinement et véritablement d’accord sur les choses humaines. Il est impossible qu’on juge bien de celles-ci quand on méprise celles-là, et qu’on aime l’homme comme il faut l’aimer, lorsqu’on est sans amour pour celui qui a fait l’homme. Je ne vous dirai donc pas que vous n’étiez mon ami qu’à moitié, et que maintenant vous l’êtes tout a fait ; mais, autant que la raison me le montre, vous n’étiez pas même mon ami à moitié, quand vous ne m’aimiez pas véritablement, même en ce qui touche les choses humaines. Car vous n’étiez pas encore avec moi dans les choses divines, par lesquelles on juge bien des choses humaines ; vous n’y étiez point à l’époque ou je n’y étais pas moi-même, ni depuis que j’ai commencé à goûter ces vérités pour lesquelles vous ne témoigniez que de l’éloignement.

3. Ne vous fâchez pas, et ne trouvez pas absurde si je vous dis qu’au temps où le m’attachais avec tant d’ardeur aux vanités de ce monde, vous n’étiez pas encore mon ami, quoique vous parussiez beaucoup m’aimer ; alors je ne m’aimais pas moi-même, j’étais plutôt mon ennemi, car j’aimais l’iniquité, et c’est avec vérité qu’il est écrit dans les Livres saints : « Celui qui aime l’iniquité, n’aime pas son âme[1]. » Quand je haïssais mon âme, comment aurais-je pu avoir un véritable ami, puisqu’il me souhaitait les choses sous l’empire desquelles je restais mon propre ennemi ? Mais après que la bonté et la grâce de notre Sauveur ont brillé devant moi, non selon mes mérites, mais selon sa miséricorde, vous en êtes demeuré éloigné ; et comment alors auriez-vous pu être mon ami, puisque vous ignoriez entièrement par où je pouvais être heureux, et que vous ne m’aimiez pas dans celui en qui je commençais à m’aimer moi-même ?

4. Grâces soient donc rendues à Dieu qui daigne enfin faire de vous mon ami. C’est maintenant qu’il y a entre vous et moi une douce et affectueuse conformité de sentiments sur les choses divines et humaines, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui devient le fondement de notre véritable paix, et qui a renfermé en deux préceptes tous les divins enseignements, lorsqu’il a dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme et de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dans ces deux commandements sont compris toute la loi et tous les prophètes[2]. » Le premier commandement forme le doux et affectueux accord sur les choses divines ; le second établit le parfait accord sur les choses humaines. Si nous nous attachons fortement à ces deux commandements, notre amitié sera véritable et éternelle ; elle ne nous unira pas seulement l’un à l’autre, mais encore elle nous unira à Dieu.

5. Pour arriver à cette fin, j’exhorte votre sagesse à recevoir sans retard les sacrements des fidèles ; cela convient à votre âge ; et, je le crois aussi, à la gravité de vos mœurs. Je me souviens qu’au moment où nous allions nous quitter, vous me citâtes ce vers de Térence, où je trouvais un enseignement utile et opportun, quoiqu’il fût tiré d’une comédie : « À partir de ce jour, il faut une autre vie, il faut d’autres mœurs[3]. »

Si alors vous me disiez cela sincèrement, comme je ne dois pas en douter, vous vivez sûrement aujourd’hui de manière à vous rendre digne de recevoir par le baptême le pardon

  1. Psa. 10,6
  2. Mat. 22,37
  3. Nunc hic dies vitam aliam affert, alios mores postulat.
    (Adrienne, acte 2 scène 2).
    On sait que le système de versification de Térence se confondrait aisément avec de la prose.