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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/116

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de vos fautes passées. Car il n’y a personne que le Christ à qui le genre humain puisse dire : « Sous un chef tel que vous, s’il subsiste des traces de notre crime, elles seront effacées, et la terre ne connaîtra plus l’effroi (1). »

Virgile avoue avoir emprunté ceci aux chants de Cumes, c’est-à-dire aux chants sibyllins ; peut-être cette prophétesse avait-elle appris en esprit quelque chose de l’unique Sauveur du monde, et elle avait été forcée de l’avouer[1].

Voilà, mon honorable seigneur, mon cher bien-aimé frère en Jésus-Christ, le peu que j’ai trouvé à vous écrire en échappant un moment au poids de mes travaux, et peut-être ce peu vous semblera-t-il quelque chose : je désire que vous me répondiez, et que vous m’appreniez si vous avez donné ou sï vous allez donner votre nom pour être inscrit au nombre de ceux qui demandent le baptême. Que le Seigneur notre Dieu, en qui vous croyez, vous conserve en ce monde et dans l’autre, mon honorable seigneur, mon cher et bien-aimé frère dans le Christ. 1.

Te duce si qua manant sceleris vestigia nostri,

Irrita perpetua solvent formidine terras.

Virgile, Eclog.4.

Saint Augustin a cité ces deux vers de Virgile et avec les mêmes pensées dans deux autres lettres, l’une la 104, adressée à Nectarius, l’autre, la 137, adressée à Volusien.

LETTRE CCLIX.


Un veuf, ancien ami de saint Augustin et qui vivait dans la débauche n’avait pas craint de demander au saint évêque un écrit à la louange de sa femme morte, comme pour le consoler de sa douleur ; l’évêque d’Hippone lui répond avec fine très-belle sévérité, et lui dit qu’il n’obtiendra rien de lui à moins qu’il ne change de vie.

AUGUSTIN À SON BIEN-AIMÉ SEIGNEUR ET HONORABLE FRÈRE CORNEILLE.

1. Vous m’avez écrit pour me demander une grande lettre de consolation au sujet du vif chagrin que vous cause la mort d’une excellente épouse, comme vous vous rappelez que saint Paulin en adressa une à Macaire. L’âme de votre femme, reçue au ciel dans la société des âmes fidèles et chastes, n’a que faire des louanges humaines et ne les cherche pas ; c’est à cause des vivants qu’on donne aux morts les louanges dont ils sont dignes ; puisque vous souhaitez qu’on vous console par l’éloge de celle que vous avez perdue, commencez donc par vivre de manière à mériter d’être un jour où elle est. Car vous ne croyez pas sans aucun doute qu’elle soit où. sont celles qui ont violé la foi conjugale, ou qui, n’étant pas mariées, se sont traînées dans le désordre. L’éloge d’une femme comme la vôtre, écrit dans le but apparent de dissiper la tristesse d’un mari qui lui ressemble si peu, ne serait pas une consolation, mais une adulation. Si vous l’aimiez comme elle vous a aimé, vous lui garderiez ce qu’elle vous avait gardé. Si vous étiez mort le premier, il n’est pas à croire qu’elle se fût jamais remariée ; n’est-il donc pas vrai que si vous aviez eu besoin de consoler votre douleur par les louanges de votre femme, vous n’auriez pas même songé à en épouser légitimement une autre ?

2. Vous me direz : Pourquoi ce rude langage ? pourquoi ces reproches si durs ? N’ai-je pas vieilli au milieu de discours de ce genre, et ne sait-on pas que je mourrai avant de me corriger ? Vous voulez que j’épargne votre funeste sécurité, vous qui devriez m’épargner, sinon dans mon amitié, au moins dans tout ce que vos désordres me font souffrir ? Cicéron, animé de sentiments bien différents des miens et occupé des intérêts d’une république de la terre, disait : « Je désire, pères conscrits, être modéré ; mais, au milieu des grands dangers de la république, je désire ne pas paraître indifférent[2]. » Moi qui suis votre ami, vous le savez, et qui, attaché au service de la Cité éternelle, suis établi ministre de la parole et des sacrements divins, combien puis-je dire avec plus de justice : O mon frère Corneille, je désire être modéré ; mais, au milieu des grands périls qui sont les vôtres et les miens, je désire ne pas paraître indifférent !

3. Une populace de femmes vous environne, le nombre de vos concubines croît de jour en jour ; et vous voulez qu’évêque, je vous écoute de sang-froid, vous, le maître ou plutôt l’esclave de cette bande immonde, quand vous venez, au nom de l’amitié, me demander l’éloge funèbre d’une chaste épouse comme pour adoucir votre douleur ! À l’époque où, sans

  1. Les livres Sibyllins, dont il ne reste rien ou presque rien, ont bien réellement existé ; mais c’est dans les livres Sibyllins, faits après coup, qui on a trouvé quelque chose comme des révélations chrétiennes. Saint Augustin prête à Virgile des intentions prophétiques qu’il n’avait pas et Virgile ne nous semble pas avoir avoué nulle part qu’il ait emprunté des chants Sibyllins les deux vers où l’évêque d’Hippone croit voir une aspiration vers le Rédempteur de l’univers. Cela n’empêche pas que le monde romain au temps d’Auguste ait vaguement attendu un libérateur.
  2. Cicér. pro Sext. Rosc.