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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/138

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moins éloignée du centre, il n’y en aura pas deux qui soient égaux entre eux ? — A. Cela est également évident. — L. R. Qu’est-ce qu’une ligne et qu’est-ce qu’une sphère ? Te paraissent-elles une même chose ou diffèrent-elles entre elles ? — A. Qui ne voit qu’elles diffèrent beaucoup ? — L. R. Mais si tu connais également ces deux choses, et si cependant, comme tu l’avoues, elles diffèrent de beaucoup entre elles, il y a donc une science égale de choses différentes ? — A. Qui l’a jamais nié ? — L. R. Toi-même, il n’y a qu’un instant, lorsque je te demandais comment tu voulais connaître Dieu pour pouvoir dire : cette connaissance me suffit ; tu m’as répondu que tu ne pouvais pas l’expliquer, parce que tu ne connaissais rien à la manière dont tu désires connaître Dieu ; ne connaissant rien de semblable à lui, que diras-tu donc maintenant ? Une ligne et une sphère sont-elles semblables ? — A. Qui oserait le dire ? — L. R. Je t’avais demandé, non ce que tu pouvais connaître de semblable à Dieu, mais ce que tu pouvais connaître de la même manière que tu désires le connaître. Or, tu connais une ligne comme tu connais une sphère, quoiqu’une ligne ne soit pas la même chose qu’une sphère. Réponds-moi donc s’il te suffit de connaître Dieu comme tu connais cette figure géométrique, c’est-à-dire de ne pas plus douter de Dieu que tu ne doutes de cette sphère ?


CHAPITRE V.

UNE MÊME SCIENCE PEUT EMBRASSER DES CHOSES DIFFÉRENTES.

11. A. Permets : quoique tu me presses vivement et même que tu m’aies convaincu, je n’ose cependant dire que je voudrais connaître Dieu comme je connais ces figures géométriques. Car je vois ici des différences, non-seulement dans les choses, mais dans la science même. D’abord une ligne et une sphère ne diffèrent pas tellement entre elles, qu’elles ne soient du ressort d’une même science. Mais aucun géomètre ne s’est vanté de faire connaître Dieu. Ensuite, si là science de Dieu et de ces vérités géométriques était la même, j’éprouverais autant de plaisir, en les connaissant, que j’espère en trouver quand je connaîtrai Dieu ; et cependant je méprise tellement cette première science, en comparaison de celle de Dieu, qu’il me semble parfois que si je le comprends et le vois comme il peut l’être, toutes les autres connaissances s’effaceront de ma mémoire. Déjà son amour permet à peine à ces idées de se présenter à mon esprit. — L. R. Je conçois que tu éprouves beaucoup, beaucoup plus de plaisir dans la seule connaissance de Dieu que dans celle de ces autres vérités. Cette différence tient à la nature des choses conçues, non à l’intelligence qui conçoit ; autrement tu n’aurais pas la même œil pour voir la terre et l’étendue des cieux, puisque l’un de ces aspects te charme beaucoup plus que l’autre. Supposons que tes yeux ne te trompent pas ; si on te demandait : Es-tu aussi certain de voir la terre que le ciel ? tu devrais répondre, je crois, que la certitude est égale, quoique tu n’éprouves pas la même joie à contempler la beauté de la terre que la grandeur et l’éclat du ciel. — A. Cette comparaison m’ébranle, je l’avoue, et me détermine à convenir, qu’autant la terre diffère du ciel dans son genre, autant les vérités certaines des mathématiques diffèrent de l’intelligible majesté de Dieu.


CHAPITRE VI.

PAR QUELS SENS INTÉRIEURS. L’AME APERÇOIT DIEU.

12. L. R. Tu fais bien d’être ébranlé, et la raison qui s’entretient avec toi te promet de montrer aussi bien Dieu à ton esprit que le soleil se montre à tes yeux. L’esprit en effet a comme des yeux ; ce sont les sens de l’âme ; et les vérités certaines des sciences sont comme les objets qui ont besoin d’être éclairés par le soleil pour être vus, tels que la terre et les autres choses terrestres ; mais c’est Dieu lui-même qui éclair l’esprit. Pour moi, qui suis la raison, je suis dans les intelligences ce qu’est la faculté de voir dans les yeux ; car avoir des yeux ce n’est pas regarder ; et regarder ce n’est pas voir. Ainsi l’âme a besoin de trois choses d’avoir de bons yeux pour pouvoir s’en servir, de regarder et de voir. Or, de bons yeux, c’est l’esprit pur de la contagion des sens, c’est-à-dire guéri et affranchi de la cupidité des choses terrestres. Cet affranchissement, il lie peut se faire d’abord que par la foi. L’âme en effet ne peut voir qu’autant qu’elle est saine. Si donc elle ne croit pas qu’elle puisse voir jamais ce qu’on ne peut, lui montrer pendant qu’elle est encore