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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/145

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j’aurai vu le soleil. Ceci semble d’abord être dans l’ordre, et néanmoins, il en est bien autrement. Si l’œil aime les ténèbres, c’est qu’il n’est pas sain, il ne peut voir le soleil avant d’être guéri. Ainsi l’âme se trompe souvent en se flattant et en se vantant d’avoir la santé ; et parce qu’elle ne voit pas encore, elle croit avoir le droit de se plaindre. Mais la suprême beauté sait quand elle doit se montrer ; elle remplit l’office de médecin, et connaît ceux qui sont sains, plus qu’ils ne se connaissent eux-mêmes. Pour nous, nous croyons savoir à quelle hauteur nous nous sommes élevés du fond de l’abîme ; mais nous ne pouvons ni penser, ni sentir où nous étions plongés, combien nous étions descendus, et nous nous regardons comme sains parce que nous sommes un peu moins malades. Ne vois-tu pas avec quelle sorte de sécurité nous affirmions hier que nous n’étions plus esclaves d’aucune passion, que nous n’aimions que la sagesse et que nous ne cherchions ni ne voulions d’autres biens que pour elle ? Combien te paraissaient honteux, méprisables, horribles et exécrables les plaisirs de l’amour quand nous parlions du désir d’une épouse ? Mais cette nuit, lorsque nous veillions ensemble, lorsque nous nous entretenions des mêmes idées, tu as senti bien autrement que tu ne l’avais présumé, combien l’image de ces plaisirs, de ces cruelles voluptés a agi sur toi. L’impression a été beaucoup, beaucoup moins vive qu’elle n’a coutume de l’être ; elle était cependant bien différente de ce que tu avais cru : ainsi le médecin intérieur t’a fait voir et de quel mal tu étais guéri par ses soins et combien il te restait encore à guérir.

26. A. Tais-toi, je te prie, tais-toi ; pourquoi me tourmenter ? Pourquoi descendre et pénétrer si avant dans mon âme ? Je ne cesse de pleurer, je ne puis plus rien promettre, je n’ose plus me flatter de rien ; ne m’interroge point là-dessus. Tu dis avec raison que celui que je désire voir connaît seul si je suis pur. Qu’il fasse ce qu’il lui plaît ; qu’il se montre à moi quand il le voudra, je me confie tout entier à ses soins et à sa clémence. J’ai fini par croire qu’il ne cesse de secourir ceux qui sont ainsi disposés envers lui. Je ne dirai rien sur la santé de mon âme que je n’aie aperçu cette éternelle beauté. — L. R. C’est ainsi que tu dois agir ; mais sèche tes larmes et fortifie ton cœur. Tu as beaucoup pleuré, et cette maladie de poitrine n’a fait que s’aggraver. — A. Tu veux que je mette un terme à mes larmes, tandis que je ne vois point de terme à ma misère ? Tu m’ordonnes d’avoir égard à la santé de mon corps, tandis que je suis infecté de la contagion du vice ? Mais, je t’en prie, si tu as quelque pouvoir sur moi, essaye de me conduire par quelque sentier plus court, afin que dans le voisinage de cette lumière, dont je puis, si j’ai fait quelque progrès, supporter l’éclat au moins à une certaine distance, mes yeux n’aient plus que de la répugnance pour les ténèbres que j’ai quittées ; et toutefois, puis-je dire avoir quitté des ténèbres qui osent encore flatter mon aveuglement ?


CHAPITRE XV.

COMMENT ON CONNAIT L’ÂME. CONFIANCE EN DIEU.

27. L. R. Terminons, 5'il te plaît, ce premier livre, et nous essayerons dans le second de suivre le chemin qui nous paraîtra convenable. Ton indisposition exige un exercice modéré. — A. Je ne te permettrai pas de terminer ce livre si tu ne me fais connaître quelque chose de ce voisinage de la lumière, afin que je m’en occupe avec attention. — L. R. Le médecin intérieur t’en fournit le moyen, car je ne sais quel éclat m’invite et m’entraîne. Ainsi écoute avec attention. — A. Conduis-moi, je te prie, entraîne-moi où tu voudras — L. R. Ne dis-tu pas que tu veux connaître avec certitude l’âme et Dieu ? — A. C’est là toute mon affaire. — L. R. Ne cherches-tu rien autre ? — A. Rien autre. — L. R. Quoi ! ne veux-tu pas comprendre la vérité ? — A. Comme si je pouvais connaître Dieu et l’âme sinon par la vérité ? — L. R. Tu dois donc connaître d’abord ce qui te sert à connaître tout le reste. — A.Je n’en disconviens pas. — L. R. Ainsi examinons premièrement si les mots vérité et vrai te semblent exprimer deux choses ou seulement une seule : — A. Il me semble que ce sont deux choses. Autre est la chasteté, et autre est d’être chaste : ainsi du reste. Je crois de même qu’autre chose est la vérité, autre chose est ce qui est appelé vrai. — L. R. Laquelle (le ces deux choses regardes-tu comme supérieure ? — A. Je pense que c’est la vérité : ce n’est pas ce qui est chaste qui fait la chasteté ; c’est par la chasteté qu’on est chaste : de même ce qui est vrai l’est par la vérité.