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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/149

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conduis trop rapidement vers ces grands horizons ; allons pas à pas, je te prie. — L. R. Si tout ce que tu m’as accordé est exact, je crois que tu ne dois pas douter de cette conséquence. — A. Elle est trop, précipitée, te dis-je, et je suis plus porté à croire que je t’ai accordé trop légèrement quelque chose, que de me regarder comme certain de l’immortalité de l’âme. Cependant développe cette conclusion et montre-moi comment elle résulte de ce que je t’ai accordé. — L. R. Tu as reconnu qu’il ne pouvait point y avoir de fausseté sans les sens, et que la fausseté ne pouvait point ne pas exister ; les sens existent donc toujours. Mais il n’y a point de sens sans l’âme ; l’âme est donc immortelle. Elle ne peut sentir sans vivre ; elle vivra donc toujours.


CHAPITRE IV.

PEUT-ON CONCLURE L’IMMORTALITÉ DE L’AME DE LA DURÉE DU VRAI ET DU FAUX ?

5. A. O épée de plomb ! Tu pourrais conclure que l’homme est 'immortel, si je t’avais accordé que le monde ne peut pas exister sans homme et que le monde est éternel. — L. R. Tu es bien sur tes gardes : ce n’est pas toutefois peu de chose d’avoir établi que la nature ne peut pas exister sans une âme, à moins de supposer qu’il n’y aura point de fausseté dans la nature. — A. Je reconnais la justesse de cette conséquence, mais je crois qu’il faut examiner plus attentivement si les principes que je t’ai accordés plus haut ne sont pas incertains ; car je vois que nous avons fait un grand pas vers l’immortalité de l’âme. — L. R. As-tu suffisamment considéré si tu n’as rien accordé légèrement ? — A. Je le crois, mais je ne vois pas comment m’accuser de témérité. — L. R. Il est donc démontré que la nature ne peut exister sans une âme vivante ? — A. Oui, mais dans ce sens seulement que des âmes peuvent naître et d’autres mourir. — L. R. Mais si la fausseté n’existe plus dans la nature, ne s’ensuivra-t-il pas que tout sera vrai ? — A. Je reconnais cette conséquence. — L. R. Dis-moi comment tu sais que ce mur est un mur véritable ? — A. Parce que l’image qu’il produit en moi ne me trompe pas. — L. R. C’est-à-dire parce qu’il est tel qu’il te paraît. — A. Oui. — L. R. Si donc une chose est fausse parce qu’elle est différente de ce qu’elle paraît, et vraie parce qu’elle est comme elle paraît ; en faisant abstraction de celui qui la voit, il n’y aura plus ni vérité ni fausseté. Niais s’il n’y a point de fausseté dans la nature, tout est vrai. Et comme rien ne peut paraître vrai ou faux qu’aux yeux d’une âme vivante ; que le faux puisse ou ne puisse pas disparaître, l’âme subsiste également au milieu de la nature. — A. Je vois que tu viens de donner une nouvelle force à la conséquence déjà tirée ; mais nous n’y avons rien gagné. Car mon esprit n’est pas moins frappé de ce fait, que les âmes naissent et meurent, et que pour ne pas disparaître du monde, il n’est pas nécessaire qu’elles soient immortelles ; il suffit qu’elles se succèdent.

6. L. R. Crois-tu que les choses corporelles, c’est-à-dire sensibles, puissent être comprises par l’intelligence ? — A. Je ne le crois pas. — L. R. Que répondras-tu à cette question Dieu se sert-il des sens pour connaître quelque chose ? — A. Je n’ose rien affirmer témérairement sur ce sujet ; mais autant qu’il m’est permis de le conjecturer, Dieu ne se sert aucunement des sens. — L. R. Nous pouvons donc conclure que l’âme seule peut sentir. A. Tire provisoirement cette conclusion, autant que la probabilité le permet. — L. R. Réponds encore. Accordes-tu que ce mur, s’il n’est pas un vrai mur, ne soit pas un mur ? — A. Il n’y a point de proposition que je sois plus porté à reconnaître que celle-là. — L. R. Et que s’il n’existe point un vrai corps, il n’existe point de corps du tout ? — A. Cela est encore évident. — L. R. Ainsi donc, il n’y a de vrai que ce qui est tel qu’il paraît ; rien de corporel ne peut être aperçu que par les sens ; l’âme seule peut sentir ; il n’y a point de corps s’il n’existe un vrai corps ; il s’ensuit qu’il ne peut y avoir de corps s’il n’existe une âme. — A. Tu me presses trop vivement et je n’ai rien à t’opposer.


CHAPITRE V.

QU’EST-CE QUE LE VRAI ?

7. L. R. Examine cela avec plus d’attention. — A. Je suis prêt. — L. R. Voici certainement une pierre ; c’est une pierre véritable si elle est telle qu’elle paraît ; ce n’est pas une pierre si elle n’est pas véritable, et elle ne peut être aperçue que par les sens. — A. J’en conviens. — — L. R. Il n’y a donc pas de