Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/211

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je te l’ai enseignée ; j’ajouterai alors : Mais si je te disais que j’ai vu quelqu’un voler dans les airs, mon témoignage t’en rendrait-il aussi sûr que si tu entendais déclarer que les hommes sages sont préférables aux insensés ? Tu le nierais assurément, et tu répondrais que tu ne crois pas ma première affirmation, ou que tu la crois sans la comprendre, tandis que tu comprends parfaitement la seconde. Tu reconnaîtrais ainsi que mes paroles ne t’ont rien appris, soit en assurant ce que tu ne comprends pas, soit en rappelant ce que tu savais déjà ; puisque, interrogé, tu aurais pu jurer que tu ignores la première assertion et que tu connais la seconde. C’est alors que tu répondrais affirmativement à ma question générale, après l’avoir niée comme absurde ; car tu reconnaîtrais la clarté et la certitude de ces propositions partielles dont elle se forme : Quelles que soient ces assertions, l’interlocuteur ignore si elles sont vraies, ou il sait qu’elles sont fausses, ou il est sûr qu’elles sont vraies. Dans le premier de ces trois cas, ou il croit, ou il opine, ou il doute ; il résiste et nie dans le second ; il atteste dans le troisième ; jamais donc il n’apprend. A-t-on rien appris de moi, quand on ignore ce que j’ai dit, quand on en reconnaît la fausseté, et qu’on était capable de parler comme moi, si l’on eût été interrogé ?

Chapitre XIII. La parole ne manifeste même pas les sentiments intérieurs.

41. C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit des choses qui sont du domaine de l’esprit, il serait inutile à qui ne peut les voir, d’en entendre parler, s’il n’était avantageux de les croire tant qu’on ne les comprend pas. Mais celui qui peut les voir est intérieurement le disciple de la vérité, au dehors le juge de qui en parle ou plutôt de son langage. Souvent, en effet, il sait mieux ce qu’il entend que celui qui le dit. Qu’un épicurien, jugeant l’âme mortelle, vienne à exposer ce qu’ont dit les sages en faveur de l’immortalité de l’âme, en présence d’un homme capable de considérer les choses spirituelles ; ce dernier juge vraies les raisons qu’il entend, tandis que la premier ignore si elles sont fondées ou plutôt les croit très-fausses. Peut-on alors estimer qu’il enseigne ce qu’il ne sait pas ? Il emploie néanmoins les mêmes paroles que s’il savait.

42. Ainsi donc, on ne peut pas même assurer que le langage manifeste les dispositions de celui qui parle ; puisqu’on ne sait pas s’il est convaincu de ce qu’il dit. Songe de plus aux menteurs et aux trompeurs : tu reconnaîtras facilement que loin de révéler toujours les sentiments du cœur, la parole sert aussi à les voiler. Je n’en doute pas, ce qu’essaient, ce que professent en quelque sorte les hommes véridiques, c’est de montrer leur âme, et on les croirait, de l’aveu de tous, si la parole était interdite aux menteurs. Souvent néanmoins nous avons remarqué, en nous-mêmes et dans d’autres, que les paroles n’expriment pas ce que l’on pense, et ceci peut, selon moi, se faire de deux manières. Tantôt on récite de mémoire et souvent après s’être peu pénétré, tout en pensant à autre chose, comme il nous arrive fréquemment en chantant les hymnes ; tantôt la langue indocile prononce malgré nous des paroles pour d’autres paroles ; et l’on n’entend pas l’expression de ce que nous avons dans la pensée. Les menteurs, sans doute, pensent aussi à ce qu’ils disent ; et tout en ignorant s’ils disent vrai, nous savons cependant que leur esprit en est occupé, à moins qu’ils n’éprouvent l’un des deux accidents dont je viens de faire mention. Veut-on soutenir que réellement ils y sont de temps en temps sujets et qu’on s’en aperçoit alors ? Quoique souvent on ne s’en aperçoive pas et que j’y aie été pris souvent, je ne fais aucune résistance.

43. Ici se présente une autre source d’erreurs ; presque partout répandue, elle produit des dissensions et des luttes sans nombre. C’est quand celui qui parle exprime à la vérité sa pensée, mais n’est compris que de lui et de quelques autres, tandis que son langage est autrement entendu de celui à qui il s’adresse et de plusieurs. On vient nous dire qu’il est des animaux qui surpassent l’homme en vertu. Ce langage nous révolte, et nous repoussons avec une grande animation ce sentiment aussi pernicieux qu’il est faux. Mais par vertu on entend la force des organes, et sous ce nom l’on désigne cette pensée ; on ne ment pas, on ne se trompe pas pour le fond, on n’a pas cherché à voiler son idée en confiant ces paroles à la mémoire ; ce n’est pas une méprise de la langue qui a fait entendre ce qu’on ne voulait pas ; seulement on désigne sous un nom différent une