Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/338

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deviendrait lui-même un esprit vicieux, et par là même plus faible que le premier. 21. A. Tu as bien compris. Il ne te reste plus qu’à me répondre, si tu le peux, à une dernière question : Penses-tu qu’il y ait quelque chose de supérieur à un esprit raisonnable et sage ? — E. Non, si ce n’est Dieu. — A. C’est aussi mon sentiment. Mais ce sujet est difficile et ce n’est pas le moment de le traiter pour arriver à le comprendre, bien que nous tenions par la foi cette supériorité de Dieu comme très-certaine. C’est pourquoi épuisons, avec soin et prudence, la question posée tout à l’heure.



CHAPITRE XI. L’AME QUI S’ABANDONNE A LA PASSION PAR SA LIBRE VOLONTÉ EST JUSTEMENT PUNIE.

Pour le moment nous savons assez que l’être supérieur à l’âme douée de vertu, quel qu’il soit, ne peut être aucunement injuste. Aussi lors même qu’il en aurait le pouvoir, cet être ne forcera pas non plus l’âme à se faire l’esclave de la passion. — E. Personne n’hésitera à admettre pleinement ce que tu dis. — A. Ainsi d’une part tout ce qui est égal ou supérieur à l’âme jouissant de sa royauté et en possession de la vertu, ne la rend pas esclave de la passion ; parce que la justice s’y oppose ; d’autre part toutes les choses qui lui sont inférieures ne le peuvent pas davantage, parce que leur infirmité les en empêche. Donc il demeure acquis que ce qui rend l’âme complice de la passion, c’est la propre volonté et le libre arbitre. — E. Cette conclusion est de la logique la plus rigoureuse. 22. A. N’en concluras-tu pas aussi qu’elle est justement punie par un si grand péché ? E. Je ne puis le nier. — A. Mais quoi ! cette domination même de la passion sur l’âme est-elle un faible châtiment ? On voit alors cette âme, dépouillée des richesses opulentes de la vertu, traîner çà et là son indigence et son dénuement ; tantôt approuver, au lieu des vérités, les mensonges, s’en faire même le défenseur ; puis désapprouver ce qu’elle avait approuvé d’abord, mais pour se précipiter dans de nouvelles erreurs ; tantôt retenir son. jugement et redouter presque toujours les raisons qui l’éclaireraient ; tantôt désespérer de découvrir jamais la vérité, et s’enfoncer ainsi dans les ténèbres de la folle ; tantôt faire effort vers la lumière pour comprendre, puis fatiguée retomber encore. En même temps ses penchants vicieux lui font sentir leur tyrannie cruelle, et voilà l’âme et la vie, et l’homme tout entier bouleversé par mille tempêtes contraires ; ici l’anxiété, là la vaine et fausse joie ; ailleurs le tourment qui suit la perte d’un objet qu’il aimait, puis l’ardeur à en poursuivre un autre qu’il n’avait pas possédé encore ; ailleurs le supplice que lui cause une injure reçue, et après, la flamme de la vengeance ; de quelque côté qu’il se tourne, l’avarice l’oppresse, la prodigalité le dilate lâchement, l’ambition le captive, l’orgueil l’enfle, l’envie le torture, l’oisiveté le fait languir ; la fierté le pique, l’humiliation l’abat ; en un mot, toutes les innombrables agitations qui constituent ce règne de la passion le tourmentent sans merci. Pouvons-nous considérer comme peu de chose ce châtiment que subit nécessairement, comme tu le vois, quiconque ne s’attache pas à la sagesse ? 23. E. Oui, ce châtiment est grand, et cette punition est juste envers celui qui placé d’abord sur le trône sublime de la sagesse aurait voulu ensuite en descendre afin de se faire l’esclave de la passion ; je le reconnais. Mais peut-il exister quelqu’un qui ait voulu ou veuille en agir ainsi ? je n’en sais rien. Nous croyons, sans doute, que l’homme a été créé de Dieu dans une perfection telle, et si bien établi dans la vie heureuse, qu’il n’a pu déchoir que par sa propre volonté. Mais cette vérité que je tiens d’une foi ferme, je ne la comprends pas encore. Et je serais désolé de te voir différer l’examen de cette question.



CHAPITRE XII. LES ESCLAVES DE LA PASSION SUBISSENT JUSTEMENT LES PEINES DE LA VIE MORTELLE, QUAND MÊME ILS N’AURAIENT JAMAIS EU LA SAGESSE.

24. Pourquoi souffrons-nous de si cruelles peines, nous qui sommes certainement insensés, et qui n’avons jamais été sages ? Et comment peut-on dire que nous sommes ainsi punis avec justice pour avoir quitté le palais de la vertu et choisi la servitude de la passion ? Voilà ce qui m’émeut le plus, et je ne t’accorde point de trêve que tu n’aies, si cela est en ton pouvoir, éclairci ce point. — A. Tu