Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/348

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parfaitement. — A. Donc, voici une troisième chose évidente : c’est que tu comprends. — E. Très-évidente. — A. Laquelle des trois te semble la meilleure ? — E. Comprendre. — A. Pourquoi penses-tu ainsi. — E. Parce que je vois que exister, vivre, comprendre, sont trois choses ; or, la pierre existe, la bête vit ; cependant, à mon avis, ni la pierre n’est vivante, ni la bête intelligente : mais il est très-certain que celui qui a l’intelligence a aussi l’existence et la vie. C’est pourquoi je n’hésite pas à juger meilleur celui qui possède les trois choses que celui à qui il en manque une ou deux. Car, qui a la vie a aussi l’existence, mais il ne s’ensuit pas qu’il ait encore l’intelligence, et telle est, selon moi, la vie de la bête. Quant à l’existence, ce qui la possède n’a point pour cela même la vie et l’intelligence. Car je puis avouer que les cadavres existent, et personne ne dira qu’ils vivent. Enfin ce qui n’a pas la vie a encore moins l’intelligence.— A. Nous admettons donc que de ces trois choses il en manque deux aux cadavres, une à la bête, aucune à l’homme. — E. C’est vrai. — A. Nous admettons de plus gaie la meilleure des trois est celle que l’homme possède avec les deux autres, à savoir, l’intelligence, qui implique dans celui qui la possède l’existence et la vie. — E. Nous l’admettons certainement. 8. A. Dis-moi maintenant si tu sais que tu possèdes ces sens corporels si connus : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. — E. Je le sais. — A. Quelles sont les choses qui, selon toi, tombent sous le sens de la vue ; en d’autres termes, quels objets affectent notre sens lorsque nous voyons ? — E. Tous les objets corporels. — A. Est-ce aussi par la vue que nous avons le sentiment des corps durs et mous ? — E. Non. — A. Qu’est-ce donc qui appartient en propre aux yeux et dont nous avons par eux le sentiment ? — E. La couleur. — A. Et aux oreilles ? — E. Le son. — A. A l’odorat ? — E. L’odeur. — A. Au goût ? — E. La saveur. — A. Et au toucher ? — E. La dureté ou la mollesse, l’uni ou le raboteux, et beaucoup d’autres qualités pareilles. — A. Mais les formes des corps, le grand, le petit, le carré, le rond et les autres semblables, n’en avons-nous pas le sentiment, tant par le toucher que par la vue, en sorte qu’on ne peut les attribuer exclusivement à la vue ni au toucher, mais bien à tous les deux ? — E. Je le comprends. — A. Tu comprends donc aussi que les sens saisissent chacun des objets qui leur sont propres et dont ils nous avertissent, et plusieurs d’entre eux certains objets communs ? — E. Je le comprends aussi. A. Mais, ce qui appartient en propre à chaque sens et ce qui appartient en commun à tous ou à quelques-uns d’entre eux, comment pouvons-nous le distinguer ? est-ce par quelqu’un de ces sens ? — E. Non pas ; nous le distinguons par un certain sens intérieur. — A. Ne serait-ce pas là cette raison qui manque aux bêtes ? Car, si je ne me trompe, c’est par la raison que nous comprenons ces choses et que nous savons qu’il en est ainsi. — E. Je crois plutôt que c’est par la raison que nous comprenons l’existence de ce sens intérieur auquel ces cinq sens si connus viennent rapporter tous leurs objets. Car pour la bête, autre est le fait de la vision, autre le sentiment des choses vues qu’elle évite ou recherche ; le premier sens est dans les yeux, le second est au dedans même de l’âme, et c’est par ce dernier que les animaux, attirés par le charme ou repoussés, convoitent et saisissent ou évitent et rejettent non-seulement les objets qui tombent sous la vue, mais ceux aussi qui tombent sous l’ouïe et les autres sens du corps. Mais cet autre sens, on ne peut lui donner les noms ni de vue, ni d’ouïe, ni d’odorat, ni de goût, ni de toucher ; c’est quelque chose de différent, c’est je ne sais quoi qui préside universellement aux autres sens. Or, quoique nous le saisissions par la raison, comme je l’ai dit, nous ne pouvons toutefois lui donner le nom même de raison, puisqu’il est évident que les bêtes elles-mêmes le possèdent. 9. A. Quel qu’il soit, je l’admets, et je n’hésite pas à l’appeler un sens intérieur. Mais il faut que notre raison surpasse ce sens ; autrement, ce qui nous est fourni par les sens du corps ne pourrait devenir l’objet de la science. Car on ne sait une chose quelconque qu’autant qu’on la comprend par la raison. Or, sans parler des autres sens, nous savons que ce n’est pas par l’ouïe que nous avons le sentiment des couleurs, ni par la vue celui des paroles. Et cette science, ce ne sont ni les yeux ni les oreilles qui nous la donnent, ni non plus ce sens intérieur dont les bêtes sont pourvues, car il ne faut pas croire qu’elles sachent que les oreilles ne donnent pas le sentiment de la lumière, ni les yeux celui de la voix, puisque nous ne faisons ce discernement que par l’attention rationnelle et la pensée,