Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/355

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que l’unité ; car, si je ne connaissais pas l’unité, je ne pourrais compter les nombreuses parties de ce corps. Mais partout où je connais l’unité, ce n’est certainement pas au moyen des sens corporels, puisque par ces sens je ne connais que le corps qui, nous l’avons vu, n’est pas vraiment et purement un. Or, si nous n’avons pas acquis la perception de l’unité au moyen des sens corporels, nous n’avons pas pu, par ces mêmes sens, acquérir celle d’aucun nombre, je veux dire de ces nombres que nous voyons par l’intelligence. Car il n’en est pas un seul qui ne tire son nom du nombre de fois qu’il contient l’unité, et la perception de ce fait n’a pas lieu au moyen des sens corporels. La moitié d’un corps a elle-même une moitié égale aux deux, dont se compose la totalité de la première. Et ainsi, les deux moitiés d’un corps y sont de telle sorte, qu’elles ne sont pas elles-mêmes deux unités indivisibles. Au contraire, ce nombre qu’on appelle Deux parce qu’il contient deux fois l’unité, sa moitié, c’est-à-dire ce qui est un absolument, ne peut être une seconde fois divisé en demi, tiers, quart, etc., parce qu’il est vraiment et simplement un (1). 23. De plus, en suivant l’ordre des nombres, après 1 nous voyons 2, nombre qui, comparé au premier, se trouve en être le double. Mais le double de 2 ne vient pas immédiatement ; 3 est interposé avant 4, qui est le double de 2. Et ce rapport se poursuit à travers toute la série des nombres, en vertu d’une loi aussi parfaitement claire qu’immuable. Ainsi après 1, c’est-à-dire après le premier de tous les nombres, le premier qui vient en ne comptant pas le précédent, en est le double ; car c’est 2 qui suit 1. Après le second nombre, c’est-à-dire après 2, toujours sans compter celui-ci, le second qui vient en est le double. En effet, après 2, le premier est 3, et le second 4, double du second nombre. Après le troisième nombre, c’est-à-dire 3, toujours sans le compter, le troisième en est encore le double. En effet, après le troisième nombre, c’est-à-dire 3, le premier qui vient est 4, le second 5 et le troisième 6, qui est le double du troisième nombre, Puis, après le quatrième nombre, toujours

1. Formule de ce raisonnement en arithmétique : 1 divisé par 1 donne 1.

sans compter celui-ci, le quatrième qui vient en est le double. En effet, après le quatrième nombre, soit 4, le premier qui vient est 5, le second 6, le troisième 7 et le quatrième 8, qui est le double du quatrième, et ainsi de suite. Tu trouveras dans toute la série des nombres ce que tu as trouvé dans la première addition des nombres, c’est-à-dire dans un et deux, à savoir que dans toute la série, à partir du commencement, après un nombre donné, le nombre cardinal correspondant amène le double du premier nombre. Cette loi immuable, fixe et inaltérable qui préside à tous les nombres, comment la saisissons-nous ? Personne ne peut assurément, au moyen des sens corporels, saisir tous les nombres, puisqu’ils sont innombrables. Comment donc connaissons-nous cette loi qui les embrasse tous ? En vertu de quelle imagination ou de quelle image une vérité mathématique aussi certaine nous apparaît-elle si constiinté à travers l’innombrable série des nombres ? N’est-ce pas au contraire en vertu de la lumiérc intérieure, que les sens corporels ne connaissent pas ? 24. Ces preuves et beaucoup d’autres semblables forcent les hommes à qui Dieu a départi le génie de la discussion et qui ne l’ont point obscurci par leur entêtement, à reconnaître que le rapport ou la vérité des nombres ne ressortit pas des sens corporels, qu’elle subsiste invariable et sans altération, qu’elle appartient en commun et qu’elle est visible à tous ceux qui raisonnent. Bien d’autres choses peuvent se présenter à l’esprit qui appartiennent aussi en commun à tous ceux qui font usage du raisonnement, sont comme publiquement à leur disposition, et visibles à l’œil de l’intelligence et de la raison de chacun de ceux qui les considèrent, tout en demeurant inaltérées et immuables. Toutefois, j’ai vu sans regret que ce rapport ou vérité des nombres s’est présentée tout d’abord à ta pensée, lorsque tu as entrepris de répondre à la question que je t’avais posée. Car ce n’est pas en vain qu’on voit dans les saints Livres le nombre joint à la sagesse, à l’endroit où il est dit : « J’ai exploré mon cœur lui-même, pour connaître, examiner et scruter la sagesse et le nombre. (1) »

1. Ecclés. VII, 26,