Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/367

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ensuite volontiers que c’est Dieu qui nous l’a donnée, puisque je reconnais que tous les biens viennent de Dieu. A. Encore ! Mais enfin ne te l’ai-je pas prouvé dans tout le cours de cette laborieuse discussion ? N’as-tu pas admis que toutes les images et les formes corporelles existent en vertu de la forme suprême de toutes choses, et n’as-tu pas avoué qu’elles sont des biens ? Il n’est pas jusqu’à nos cheveux qui n’aient été comptés c’est la Vérité elle-même qui parle ainsi dans l’Evangile (1). As-tu oublié ce que nous avons dit de la sublimité du nombre, et de cette puissance qui atteint d’une extrémité à une autre extrémité. Quel incroyable égarement d’esprit ! Compter parmi les biens jusqu’à nos cheveux, un bien si mince et si inférieur, ne pas trouver d’autre auteur à leur assigner que Dieu même, le Créateur de tous les biens, parce que les moindres comme les plus grands biens sont de Lui, qui est l’auteur de tout ce qui est bon ; et avoir encore des doutes sur la volonté libre, indispensable pour vivre avec droiture, de l’aveu même de ceux qui mènent la vie la plus abjecte ! Eh bien ! réponds-moi maintenant, je t’en prie : Quelle est, à ton sens, la chose la meilleure en nous, celle, sans laquelle on peut vivre honnêtement, ou celle sans laquelle on ne peut vivre honnêtement ? — E. Pardonne-moi, je t’en supplie ; j’ai honte moi-même d’y voir si peu. Mais personne n’hésiterait pour te répondre. La chose de beaucoup la meilleure est évidemment celle sans laquelle il n’y aurait pas de vie honnête. — A. Maintenant me nieras-tu qu’un homme qui louche puisse vivre avec honnêteté ? — E. Loin de moi une aussi incroyable folie. — A. Eh bien ! puisque tu accordes que c’est un bien du corps, que cet œil dont la perte n’empêche pas de vivre honnêtement, croiras-tu encore que ce n’est pas un bien que la volonté libre, sans laquelle personne ne vit avec droiture ? 50. Tu t’arrêtes à considérer la justice, dont personne ne se sert pour le mal. Il faut la compter parmi les biens les plus élevés qui sont dans l’homme, aussi bien que toutes les vertus de l’âme dont se compose la vie droite et honnête. Car personne ne mésuse ni de la prudence, ni de la force d’âme, ni de la tempérance : elles sont toutes, comme la justice elle-même que tu as citée, animées par la droite raison, sans laquelle il ne peut y avoir

1. Matth. X, 30.

de vertus. Et personne non plus ne peut mésuser de la droite raison.


CHAPITRE XIX. TROIS SORTES DE BIENS : LES GRANDS, LES PETITS, ET LES MOYENS ; LA LIBERTÉ EST DU NOMBRE DE CES DERNIERS.

Ce sont là les grands biens. Mais, tu dois te le rappeler, non-seulement les grands biens, mais encore les petits ne peuvent venir que de l’auteur de tous les biens, c’est-à-dire- Dieu c’est un fait dont la récente discussion t’a persuadé ; et combien de fois n’y as-tu pas adhéré joyeusement ? Les vertus qui sont le fond de la vie honnête, sont donc les grands biens ; et toutes les formes du monde corporel, sans lesquelles on peut vivre dans la justice, sont les moindres biens : mais les puissances de l’âme, sans lesquelles on ne peut vivre avec droiture sont les biens moyens. Personne ne mésuse des vertus : pour les autres biens ; savoir les moyens et les petits, chacun peut non-seulement en bien user, mais encore en mal user. On ne peut mésuser de la vertu, parle que l’œuvre de la vertu consiste précisément dans le bon usage des biens, dont nous pouvons aussi ne pas bien user. Mais personne, en usant bien, ne mésuse. Ainsi la bonté de Dieu, dans son abondance et sa grandeur, nous a départi non-seulement les grands biens, irais encore les moyens et les petits. Nous devons louer cette bonté pour les grands biens, plus que pour les moyens, et plus pour les moyens que pour les moindres ; mais nous devons la louer pour tous ensemble, plus que si elle ne nous les avait pas tous donnés. 51. E. D’accord. Mais voici qui me préoccupe : Il s’agit de la volonté libre, et c’est elle qui use bien ou mal des autres choses ; comment alors la compter elle-même parmi les choses dont nous usons ? — A. Tout comme la -raison ; nous connaissons, par la raison, tous les objets de la science ; et cependant, la raison elle-même est comptée au nombre des choses que nous connaissons par elle. Lorsque nous recherchions plus haut quels sont les objets de la connaissance rationnelle, l’aurais-tu oublié ? Tu as admis que la raison elle-même est connue par la raison. Si donc nous usons des autres choses au moyen de la volonté libre, il ne faut pas pour cela trouver