Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LIVRE TROISIÈME

Argument : Etait-il convenable que Dieu nous donnât le libre arbitre, puisqu’il devait être la source de tous les péchés ? — Saint Augustin démontre ici que malgré tous les maux qu’il devait produire, le libre arbitre est un bienfait divin et qu’il concourt à la beauté de l’univers.


CHAPITRE PREMIER. D’OU VIENT LE MOUVEMENT QUI SÉPARE LA VOLONTÉ DU BIEN IMMUABLE ?

1. E. Je vois assez clairement que la liberté doit être comptée parmi les biens et parmi les biens qui ne sont pas les derniers ; ce qui nous oblige de reconnaître qu’elle vient de Dieu et que Dieu a dû nous la donner. Maintenant donc, si tu le juges opportun, daigne me faire connaître d’où vient le mouvement qui sépare la volonté du bien général et immuable pour l’attacher aux biens privés, si indignes et si bas qu’ils soient, et à tout ce qui est muable. — A. Mais qu’est-il besoin de résoudre cette question ? — E. Parce que, si ce mouvement est naturel à la volonté telle qu’elle nous a éte donnée, il est nécessaire qu’elle s’attache à ces choses muables ; et quelle faute lui reprocher quand elle obéit à la nature et à la nécessité ? A. Ce mouvement te plaît-il ou est-ce le contraire ? — E. Il me déplaît. — A. Donc tu le blâmes ? — E. Certainement. — A. Ainsi tu désapprouves dans l’âme un mouvement où il n’y a pas de faute ? — E. Je ne désapprouve pas dans l’âme un mouvement où il n’y a pas de faute ; mais j’ignore s’il n’y a pas faute à quitter le bien immuable pour les choses muables. — A. Ainsi tu condamnes ce que tu ignores ? — E. Ne presse pas sur les mots. Quand j’ai dit : J’ignore s’il n’y a pas faute, je voulais faire comprendre qu’il y a faute sans aucun doute ; car cette expression j’ignore montrait suffisamment qu’en une chose aussi évidente le doute me semble ridicule. — A. Vois combien est certaine la vérité qui te fait oublier si vite ce que tu viens de dire. En effet, si le mouvement dont nous parlons vient de la nature et de la nécessité, il ne peut être coupable. Cependant tu es si sûr qu’il est coupable que le doute seul te semble ridicule. Pourquoi alors avoir affirmé ou au moins avoir exprimé avec quelque doute ce dont tu démontres toi-même l’évidente fausseté ? Si ce mouvement est naturel à la volonté telle qu’elle nous a été donnée, as-tu dit en effet, il est nécessaire qu’elle s’attache à ces choses muables ; et quelle faute lui reprocher quand elle obéit à la nature et à la nécessité ? Mais puisque à tes yeux ce mouvement est sûrement condamnable, tu dois être sûr aussi qu’il ne vient pas de la nature telle qu’elle nous a été donnée. — E. Oui, j’ai appelé ce mouvement coupable ; voilà pourquoi j’ai dit aussi qu’il me déplaît et que sans aucun doute je le regarde comme condamnable : mais quand l’âme obéissant à ce mouvement se détourne du bien immuable pour s’attacher aux choses muables, je soutiens qu’elle n’est pas coupable, si par nature elle ne peut résister à cet entraînement. 2. A. D’où vient ce mouvement que tu