Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/380

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hiérarchie si belle, qu’il y aurait également une sorte de jalousie à dire : celle-ci devrait n’exister pas ; celle-là devrait être autrement. Voudrais-tu qu’elle fût égale à la créature la plus élevée ? Mais observe que celle-ci existe, et qu’étant parfaite, il ne faut y rien ajouter 1 Dire donc : cette autre devrait être comme elle, c’est vouloir ajouter à cette première qui est parfaite, conséquemment manquer de réserve et de justice ; ou bien vouloir détruire la seconde, ce qui serait méchanceté et noire envie. Dire au contraire : cette créature inférieure ne devrait pas exister, c’est être aussi méchant et aussi envieux, puisque c’est ne vouloir pas l’existence d’un être quand on est forcé de louer encore ceux qui sont moins parfaits. Ne serait-ce pas comme si l’on disait : point de lune, quand on reconnaît, quand on ne peut nier sans faire preuve de folie ou d’esprit de chicane, qu’une lampe même est belle dans son genre, quoiqu’elle soit bien au-dessous de l’astre des nuits ; que cette lampe est utile au milieu des ténèbres, qu’elle aide aux travaux de la nuit, et que pour ces motifs on doit l’apprécier dans une mesure convenable ? Comment donc oser dire que la lune ne devrait pas exister, quand on se croirait ridicule, si l’on blâmait l’existence d’une simple lampe ? Et si l’on dit, non pas que la lune n’aurait pas dû être créée, mais qu’elle aurait dû être comme le soleil, ne voit-on pas que c’est demander l’existence de deux soleils ? Mais c’est un double égarement, c’est vouloir ajouter en même temps et retrancher à la perfection de l’univers, y ajouter un autre soleil, en retrancher le flambeau de la nuit. 25. Je ne me plains pas pour la lune, dira-t-on peut-être, parce que tout moindre que soit son éclat, elle n’en est pas malheureuse ; je ne me plains pas même de l’obscurcissement des âmes, mais de leur misère. Réfléchis donc que si la pâleur de la lune est sans souffrance, l’éclat du soleil est aussi sans bonheur. Tout célestes qu’ils sont, ces deux astres sont des corps, considérés au moins comme foyers d’où rayonne cette lumière qui frappe nos regards. Or, aucun corps en tant que corps n’est heureux ni malheureux ; ce sont les esprits qui les animent qui peuvent souffrir ou jouir. Voici néanmoins ce que rappelle la comparaison empruntée à ces astres : quand on considère les différences des corps et l’inégalité de leur rayonnement, il y aurait injustice à demander que les moins éclatants fussent supprimés ou égalés aux plus brillants. Comme on doit tout rapporter à la beauté de l’univers, l’œil ne voit-il pas d’autant mieux chaque chose que lés nuances sont plus variées, et pourrait-on concevoir la perfection dans l’ensemble si ce qui est moins grand ne relevait la présence de ce qui est plus grand ? Ainsi dois-tu juger des différences des âmes, et tu comprendras que la misère que tu déplores a pour effet de montrer combien s’harmonise avec la beauté de l’univers l’existence de ces âmes qui ont dû devenir malheureuses pour avoir voulu pécher. Loin d’avoir dû ne les pas créer, Dieu mérite nos hommages pour avoir fait des créatures qui leur sont bien inférieures. 26. Mais on semble comprendre encore trop peu ce que je viens de dire et l’on réplique puisque notre misère donne le dernier trait à la perfection de l’univers, donc il lui manquerait quelque chose si nous étions toujours heureux ; donc encore, si l’âme ne tombe dans la misère qu’en péchant, nos péchés mêmes sont nécessaires à l’œuvre de Dieu. Comment alors, punit-il ces péchés sans lesquels sa créature n’eût été ni accomplie ni parfaite ? Je réponds : ni les péchés ni les souffrances ne sont nécessaires à la beauté du monde, mais, à proprement parler, les âmes elles-mêmes qui pèchent si elles veulent et qui deviennent malheureuses après avoir péché. Si elles étaient malheureuses après avoir été délivrées de leurs péchés ou avant de les commettre, on pourrait dire qu’il y a désordre dans l’ensemble et la direction du monde ; il y aurait aussi injustice et par conséquent désordre si les péchés commis restaient sans châtiment. Mais le bonheur accordé aux innocents et le malheur réservé aux coupables, n’est-ce pas ce qui convient à l’ordre universel ? Et s’il y a des âmes à qui sont départies où les souffrances quand elles pèchent ou là béatitude quand elles font bien, n’est-ce pas pour que l’univers soit rempli et embelli par toutes sortes de natures ? Car ni le péché ni le châtiment du péché ne sont des natures ; ce sont des accidents dont le premier est volontaire et le second forcé. Le péché est un accident honteux ; il faut lui appliquer la peine pour le faire rentrer dans l’ordre, pour le jeter où il convient qu’il soit, pour le faire servir de