Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/383

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de cette passion d’ignominie à laquelle le démon avait assujéti tous ses captifs, afin de pouvoir réclamer tout ce qui en naîtrait, comme les fruits de l’arbre planté par lui son désir était désordonné, son droit pourtant était légitime. Il est donc souverainement juste aussi qu’il soit forcé d’échapper ceux qui croient en Celui qu’il a mis à mort avec tant d’iniquité ; et s’ils meurent dans le temps c’est pour payer ce qu’ils doivent ; s’ils vivent toujours, c’est en Celui qui a payé pour eux ce qu’il ne devait pas. Quant aux hommes à qui le démon aurait persuadé de demeurer dans l’infidélité, ils partageront justement avec lui l’éternelle damnation. Admirable rapprochement ! L’homme ne devait point être enlevé à la tyrannie du diable par la violence, parce que le diable lui-même n’avait point vaincu l’homme parla force mais par la persuasion ; et après avoir été avec justice humilié profondément sous le joug du diable qu’il avait cru pour le mal, l’homme devait avec la même justice être délivré par le Rédempteur qu’il avait cru pour le bien ; d’ailleurs il s’était rendu moins coupable en croyant le mal que le démon en l’inspirant.



CHAPITRE XI. QU’ELLE DOIVE PERSÉVÉRER DANS LA JUSTICE OU PÉCHER, TOUTE CRÉATURE CONTRIBUE A LA BEAUTÉ DE L’UNIVERS.

32. Dieu donc a fait toutes les natures, celles qui devaient demeurer dans la vertu et la justice, et celles qui devaient pécher ; il a fait celles-ci, non pour qu’elles péchassent, mais pour que, consentant à pécher ou repoussant le péché, elles servissent à la beauté de l’univers. S’il n’y avait pas, pour être la clef de voûte de l’ordre universel, des âmes qui auraient tout ébranlé et troublé tout en consentant à l’iniquité, quelle privation pour le monde 1 il y manquerait ce dont l’absence mettrait en péril la paix et l’harmonie générales. Telles sont les grandes et saintes âmes, les hautes puissances des cieux et d’au-dessus des cieux, dont Dieu seul est le roi et dont tout l’univers est l’empire, cet univers qui ne pourrait exister sans l’action juste et efficace de ces puissances. Si, d’un autre côté, n’existaient pas ces autres âmes. dont le péché ni la justice ne peuvent rien sur l’ordre général, ce serait encore une grande privation. Car ces âmes aussi sont raisonnables : inégales aux premières sous le rapport des fonctions, elles ont une nature semblable ; et sous elles combien encore de créatures différentes et admirables que Dieu a produites ! 33. Elle a donc des fonctions plus relevées, cette nature dont l’absence ou le péché jetterait du trouble dans l’ordre général. Elle exerce des fonctions moindres, celle dont l’absence seule et non le péché ôterait quelque chose à l’univers. A l’une a été donné le pouvoir de tout maintenir par une action particulière dont ne saurait se passer l’ordre universel ; si sa volonté persévère dans le bien, ce n’est point parce qu’on lui a confié ces hautes fonctions, mais elles lui ont été confiées parce que le distributeur suprême a prévu sa persévérance. Ne croyons pas toutefois qu’elle maintienne tout par sa propre autorité ; c’est au contraire en s’attachant à la majesté et en obéissant avec ardeur aux ordres de Celui de qui, par qui, et en qui toutes choses ont reçu l’existence. A l’autre aussi quand elle ne pèche pas a été confié également le puissant emploi de tout maintenir ; mais elle ne le peut seule, elle doit s’unir à la première, et cela, parce qu’il a été prévu qu’elle pécherait. Les êtres spirituels peuvent en effet s’unir sans se rien ajouter, et se séparer sans rien diminuer. Ainsi l’union de la créature inférieure ne devait point accroître la facilité d’action de la créature supérieure, comme elle ne devait point la diminuer si elle venait à pécher en quittant son emploi. Car lors même que les créatures spirituelles auraient des corps, ce n’est ni dans les lieux ni parles corps qu’elles peuvent s’unir ou se désunir, c’est par la ressemblance ou la diversité des dispositions. 34. L’âme attachée depuis le péché à un corps faible et mortel, le gouverne non pas, entièrement selon sa volonté, mais comme le permettent les lois générales. Il ne s’ensuit pas toutefois que cette âme soit inférieure aux corps célestes auxquels sont soumis nos corps de boue. Les haillons d’un esclave condamné sont loin de valoir le costume de l’esclave dont son maître est content et qu’il se plaît à honorer ; mais cet esclave même, en tant qu’homme, ne vaut-il pas mieux que les plus riches vêtements ? La créature supérieure demeure donc unie à Dieu ; et dans un corps céleste, avec la puissance donnée aux anges, elle sait embellir et gouverner les corps de terre