Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/389

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repose sur quelque raison ; mais quelle est cette raison ? Je l’ignore. 48. A. La volonté étant la cause du péché, tu cherches à connaître la cause de cette volonté même. Or, si je parviens à la découvrir, ne chercheras-tu pas encore la cause de cette cause ? Quelle mesure alors mettras-tu à tes questions ? quelle limite à nos recherches et à nos discussions ? Tu devrais pourtant ne creuser que jusqu’à la racine : Croirais-tu qu’il est possible d’être plus vrai que l’Apôtre quand il a dit : « L’avarice est la racine de tous les maux (1) ? » C’est-à-dire la volonté qui ne se contente pas de ce qui suffit. Or ce qui suffit est ce qu’exige la nature pour se conserver dans son genre. Il est vrai, l’avarice s’appelle en grec l’amour de l’argent, philargurian ; mais quoiqu’elle tire de là son nom, car la monnaie des anciens était presque toujours d’argent, d’argent pur ou mêlé, l’avarice ne se dit pas seulement de l’argent : on doit l’entendre encore de tout ce qu’on désire outre mesure, quand on recherche au delà de ce qui suffit. Cette sorte d’avarice est la cupidité, et la cupidité n’est autre chose que la volonté perverse ; d’où il suit que cette volonté perverse est la cause de tous les maux. Si elle était conforme à la nature, elle la conserverait, elle ne lui nuirait pas ; de cette sorte elle ne serait pas perverse. Il est donc sûr que la racine de tous les maux n’est pas dans la nature, ce qui suffit coutre tous ceux qui veulent accuser la nature. Et si tu veux chercher encore la cause de cette racine, comment sera-t-elle la racine de tous les maux ? Cette racine sera à son tour la cause de la première, et après l’avoir découverte il te faudra en chercher de nouveau la cause, comme je l’ai fait remarquer, chercher donc sans fin. 49. Quelle cause d’ailleurs pourrait précéder la volonté même ? De deux choses l’une : cette cause sera la volonté même, et nous ne quitterons pas cette racine de tous les maux ; ou bien ce rie sera pas la volonté, et la volonté sera alors sans péché. Aussi faut-il le reconnaître, la première cause du péché est dans la volonté ou cette cause première est sans péché. De plus, on ne peut imputer le péché qu’à celui qui pèche ; on ne saurait donc l’imputer qu’à celui qui le veut (2) ; et je ne sais pourquoi ta chercherais plus loin. Enfin,

1. I Tim, VI, 10.— 2. Rét. liv. I, ch. IX, n. 3.

quelle que serait cette cause de la volonté qui pèche, il faut admettre qu’elle est juste ou injuste. Si elle est juste, nul ne péchera en en suivant l’impulsion ; si elle est injuste, qu’on y résiste, et l’on ne péchera pas.



CHAPITRE XVIII. Y A-T-IL PÉCHÉ DANS UN ACTE QU’IL EST IMPOSSIBLE D’ÉVITER ?

50. Peut-être agit-elle avec tant de violence qu’il est impossible d’y résister ? Mais faudra-t-il toujours répéter les mêmes choses ? Rappelle-toi tout ce que nous avons dit précédemment du péché et de la liberté, et s’il t’en coûte de conserver tout dans ton souvenir, retiens cette courte observation. Quelle que puisse être cette cause prétendue de la volonté, on peut ou on ne peut lui résister ; si on ne le peut, il n’y a pas de péché à la suivre ; si on le peut, que l’on résiste et l’on sera sans péché. — Peut-être surprend-elle à l’improviste ? — Eh bien ! qu’on se tienne sur ses gardes pour n’être pas surpris. — Et si la surprise est telle qu’on ne puisse y échapper ? — Dans ce cas encore il n’y a point de péché. Qui pèche en faisant ce qu’il ne peut absolument éviter (1) ? Mais il y a péché ? — Il y avait donc aussi possibilité d’y échapper. 51. Toutefois il est parlé dans nos livres divins d’actes commis par ignorance et néanmoins condamnés avec obligation de les réparer. « J’ai obtenu miséricorde, dit l’Apôtre, parce que j’ai agi dans l’ignorance (2) ; » un prophète dit aussi : « Ne vous souvenez pas des fautes dues à ma jeunesse et à mon ignorance (3). » Il y est parlé encore d’actes commis par nécessité, quand on ne peut faire le bien que l’on veut ; ces actes néanmoins sont aussi condamnables. En effet qui fait entendre ces paroles : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas je le fais ; » et ces autres : « Le vouloir réside en moi, mais je ne trouve pas pour accomplir le bien (4) ; » ces autres encore : « La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair : car ils sont opposés l’un à l’autre et vous ne faites point ce que vous voulez (5) ? » Voilà le cri de l’homme, mais de l’homme issu des condamnés

1. Voyez Rétract. liv. I, chap. IX, n. 3. 2. I Tim. I, 13.— 3. Ps. XXIV, 7.— 4. Rom. VII, 49,18.— Gal. V, 17.