Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/392

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justice reconnue coupable de péché, pour n’avoir pas bien usé de cette faculté qu’elle avait reçue. Car bien qu’elle soit née dans l’état d’ignorance et de lutte, aucune nécessité ne la contraint de demeurer dans ces conditions de sa naissance ; et en vérité Dieu seul, Dieu tout-puissant a pu être le Créateur de telles âmes, qu’il fait sans en être aimé, qu’il refait en les aimant, et qu’il perfectionne quand il en est aimé. Car lorsqu’elles n’étaient pas, il leur a donné l’être, et lorsqu’elles aiment Celui par qui elles sont, il leur donne de parvenir à la béatitude. 57. Selon une autre opinion, les âmes préexistant dans le secret de Dieu sont envoyées pour animer et réagir les corps de chacun de ceux qui naissent. Alors, quelle est leur mission et leur office à l’égard de ce corps né du châtiment du péché, c’est-à-dire avec le germe de mort da premier homme, sinon de le bien gouverner ; c’est-à-dire de le dompter par les vertus, et, en le soumettant a une servitude parfaitement conforme à l’ordre et toute légitime, de lui conquérir, à lui aussi progressivement et en temps opportun, le séjour de la céleste incorruptibilité ? Lorsque les âmes sont introduites dans cette vie, et qu’elles entrent dans ces membres mortels pour les gouverner, elles doivent en même temps oublier leur vie antérieure, et se soumettre au travail de la vie présente. De là, pour elles aussi, cette ignorance et cette lutte qui fut, dans le premier homme, le châtiment de sa chute mortelle, destiné à expier la misère de son âme. Mais pour les âmes dont nous parlons, elles sont comme la porte du ministère de réparation qu’elles viennent remplir auprès du corps, pour lui faire retrouver l’incorruptibilité. En effet, on les appelle péchés en ce sens seulement que la chair née de la semence du pécheur apporte aux âmes qui viennent à elle, cette ignorance et cette nécessité de la lutte. Et ainsi ces âmes elles-mêmes non plus que le Créateur, n’en sont rendues responsables. Car en leur ménageant des fonctions laborieuses, le Créateur leur a donné le pouvoir de s’exercer au bien, et il leur a ouvert le chemin de la foi, en leur faisant oublier leur passé. Il leur a départi surtout ce jugement en vertu duquel toute âme reconnaît la nécessité de se livrer à la recherche de ce qu’elle ignore sans profit, de persévérer dans l’accomplissement laborieux du devoir, de faire effort pour triompher dans la lutte du bien, et d’implorer le secours du Créateur afin qu’il seconde ses travaux. Et lui, il commande ces efforts tant par les lois extérieures que par sa parole intime qui se fait entendre au cœur, et il prépare la gloire de la cité bienheureuse aux vainqueurs de celui qui vainquit le premier homme par de perfides conseils et le précipita dans cette misère. Et eux-mêmes prennent sur eux cette misère pour le vaincre avec une foi admirable. Non, il n’est pas sans gloire de combattre et de vaincre le diable en portant ces mêmes chaînes dont il se glorifie d’avoir chargé l’homme vaincu. Mais quiconque, épris de l’amour de la vie présente, aura négligé cette tâche, ne pourra justement imputer le crime de sa désertion à l’ordre du grand Roi ; il se verra au contraire, avec toute justice, soumis encore au Seigneur de toutes choses et relégué à sa place, dans les rangs de celui dont il a préféré la honteuse solde, en désertant son drapeau. 58. Enfin, dans l’hypothèse où les âmes placées ailleurs, ne sont pas envoyées par le Seigneur Dieu, mais viennent de leur plein gré habiter les corps, il est facile de voir immédiatement que l’ignorance et la nécessité de la lutte, qui sont le résultat de l’acte de leur propre volonté, ne peuvent être en aucune manière reprochées au Créateur. En effet, les eût-il envoyées lui-même, comme il ne leur a pas ôté, dans cet état d’ignorance et de lutte, la liberté de la prière, de la recherche et de l’effort, prêt à donner à ceux qui demandent, à faire ; trouver à ceux qui cherchent, et à ouvrir à ceux qui frappent, il serait évidemment à l’abri de tout reproche. Pour prix de la victoire sur cette ignorance et cette difficulté de la lutte, il offrirait la couronne de gloire aux hommes de zèle et de bonne volonté. Quant aux négligents qui voudraient trouver une excuse à leurs péchés dans la faiblesse, il ne leur opposerait pas comme un tort l’ignorance même et la difficulté de la lutte ; mais il les punirait justement pour avoir préféré y croupir, plutôt que de parvenir à la vérité et au bonheur, où les auraient conduits le désir de s’instruire et le zèle à chercher, avec la prière humble et reconnaissante.