Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/395

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naturelles, c’est là que prennent naissance les progrès de l’âme ; c’est de là qu’elle commence à s’élever à la connaissance et au repos jusqu’à ce qu’elle parvienne à la vie bienheureuse. Néglige-t-elle par sa volonté propre ces progrès qu’elle doit faire dans les bonnes études et la piété à proportion des moyens qu’elle a reçus ? La justice la fait tomber dans une ignorance et dans une difficulté plus grandes, c’est un vrai châtiment ; et le Modérateur suprême qui dirige tout de la manière la plus harmonieuse, lui assigne la place qui lui convient parmi les créatures inférieures. Son crime ne vient pas de ce qu’elle ne sait pas ou de ce qu’elle ne peut naturellement ; mais de ce qu’elle ne s’est pas appliquée à savoir et de ce qu’elle n’a point travaillé convenablement à acquérir la facilité de faire le bien. Il est naturel à l’enfant de ne savoir et de ne pouvoir parler ; les lois mêmes des grammairiens ne trouvent rien de coupable dans cette ignorance, ni dans cette difficulté de s’exprimer ; le cœur humain y sent même quelque chose d’agréable et de flatteur, l’enfant en effet n’a point à se reprocher d’avoir négligé d’apprendre à parler ni d’en avoir perdu l’habitude par sa faute. Si donc le bonheur était pour nous dans l’éloquence, si l’on était. aussi coupable de violer les règles du langage que de violer les lois de la morale, nul ne serait accusé d’avoir commencé par ne savoir parler pour acquérir l’éloquence ; maison serait justement condamné si par mauvaise volonté on était retombé ou que l’on fût demeuré dans cette ignorance. De même aujourd’hui, si l’ignorance du vrai et la difficulté du bien sont naturelles à l’homme, si c’est de là qu’il doit prendre son essor pour s’élever à la béatitude que donnent la sagesse et la paix, personne n’a le droit de condamner ce commencement naturel. Mais si l’on a refusé de monter, ou si après avoir fait des progrès on a voulu retomber de nouveau, on aura mérité de souffrir et l’on souffrira justement. 63. En tout donc louons le Créateur. Louons-le de ce que dès le début il a commencé à nous rendre capables du souverain bien, de ce qu’il seconde nos efforts, de ce qu’il nous exauce et couronne nos progrès, ou bien de ce que, par une condamnation juste et méritée, il fait rentrer dans l’ordre le pécheur, c’est-à-dire celui qui toujours a refusé de s’élever à la perfection ou qui est retombé après avoir déjà monté. Parce que l’âme n’est pas encore ce qui lui est donné de pouvoir devenir en faisant des progrès, Dieu ne l’a point pour cela créée mauvaise. N’en est-il pas ainsi des corps eux-mêmes ? Ne sont-ils pas beaucoup moins parfaits à l’origine, et néanmoins tout homme judicieux estime qu’ils sont beaux dans leur genre. Si donc l’âme ignore alors ce qu’elle doit faire, c’est qu’elle ne l’a pas encore appris ; mais elle l’apprendra si elle fait bon usage de ce qu’elle a déjà reçu. Or il lui a été donné de chercher avec soin et piété si elle veut. De même, si connaissant ce qu’elle a à faire, elle ne peut le faire encore, c’est que ce pouvoir ne lui a pas encore été accordé. Il y a en elle une partie plus élevée, qui perçoit promptement le bien qu’elle doit faire, et une autre partie plus lente, la partie charnelle qui n’entre pas aussitôt dans son sentiment. Il faut, en effet, que la difficulté même l’avertisse d’implorer, pour arriver à la protection, le secours de Celui qu’elle fait l’auteur de son être ; il faut qu’en s’appuyant pour s’élever au bonheur, non pas sur ses propres forces, mais sur la miséricorde qui lui a donné l’existence, elle aime Dieu davantage. Or plus elle aime son Créateur, plus elle s’attache fermement à lui et plus elle en jouit abondamment dans l’éternité. Nous n’appelons pas stérile un tout jeune arbrisseau, quoiqu’il traverse plusieurs étés sans porter de fruits, nous attendons le temps convenable pour connaître sa fertilité. Pourquoi donc ne louerait-on pas l’Auteur de l’âme avec la piété qui lui est due, s’il veut en la créant que, par son application et ses progrès, elle parvienne à porter des fruits de sagesse et de justice, et s’il lui confère l’honneur même de pouvoir, si elle veut, atteindre à la béatitude ?



CHAPITRE XXIII. MORT DES ENFANTS.— PLAINTES INJUSTES DES IGNORANTS AU SUJET DES SOUFFRANCES QU’ILS ENDURENT.— QU’EST-CE QUE LA DOULEUR ?

66. Ici les ignorants élèvent contre nous une objection calomnieuse ; ils la tirent de la mort des enfants et des douleurs corporelles que nous leur voyons souvent endurer. Quel besoin cet enfant avait-il de naître, disent-ils, puisqu’il a quitté la vie avant d’avoir pu y rien