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DE LA MUSIQUE.




CHAPITRE IV.
EN QUOI LE MOT SCIENCE ENTRE-T-IL NÉCESSAIREMENT DANS LA DÉFINITION DE LA
MUSIQUE.

5. Il nous reste à examiner pourquoi le mot science entre dans la définition. — L’É. Oui, car je me rappelle que l’ordre de la discussion le demandait ainsi. — L. M. Eh bien ! es-tu d’avis que le rossignol conduise bien les modulations de sa voix dans la saison printanière ? Son chant est plein d’harmonie et de charme ; il est de plus, si je ne me trompe, en parfaite conformité avec la saison[1]. — L’É. D’accord. — I. M. S’ensuit-il qu’il connaisse les règles de notre art ? — L’É. Non. — L. M. Tu vois donc que le mot de science est nécessaire à la définition. — L’É. Je le vois fort bien. — L. M. Dis-moi, je te prie, ne te paraissent-ils pas ressembler au rossignol tous ceux qui, guidés par une sorte d’instinct, chantent bien, je veux dire, avec mesure et avec grâce, et ne savent que répondre, si on leur fait une question sur l’harmonie et sur l’échelle des sons graves et aigus ? — L’É. Ce ne sont que des rossignols. — L. M. Et comment qualifier ceux qui prennent plaisir à les écouter sans avoir aucune teinture de cette science ? Nous voyons des éléphants, des ours, et d’autres animaux exécuter des mouvements en cadence, aux sons de la voix humaine, les oiseaux eux-mêmes s’enivrent de leurs chants, et ils ne les prodigueraient pas sans doute avec tant d’ardeur, s’ils n’obéissaient à l’attrait du plaisir plutôt qu’aux calculs de l’intérêt ; à ce titre, ne faut-il pas comparer aux animaux de pareilles gens ? — L’É. D’accord ; mais voilà une critique à l’adresse de la plupart des hommes. — L. M. Ma pensée ne va pas si loin. Des hommes éminents, étrangers à la musique, se plaisent à partager les goûts du peuple, qui ne s’élève guère au-dessus des animaux et qui est en immense majorité, ce qui est chez eux un trait de modération et de prudence : mais ce n’est pas le moment de discuter cette question ; ou bien ils vont les écouter pour se délasser de leurs sérieuses occupations et chercher avec discrétion un plaisir qui les récrée. Mais s’il est raisonnable de prendre de temps en temps un pareil plaisir, il est honteux et dégradant de s’y laisser prendre même de temps en temps.

8. Ne te semble-t-il pas aussi que les joueurs de flûte, de cithare ou de tout autre instrument ne sont que des rossignols ? — L’É. Pas tout à fait. — L. M. Et en quoi diffèrent-ils du rossignol ? — L’É. En ce qu’il y a un certain art, à mon sens, chez le musicien, tandis que le rossignol n’est guidé que par la nature. — L. M. Ce que tu dis a quelque vraisemblance : Mais faut-il décorer du nom d’art ce qui n’est chez eux, qu’un effet de l’imitation ? — L’É. Pourquoi pas Car l’imitation joue un si grand rôle dans les arts, qu’ils disparaîtraient presque avec elle. Les maîtres s’offrent en modèle et c’est là ce qu’ils appellent enseigner. — L. M. L’art, sans doute, relève à tes yeux de la raison, et procéder avec art, c’est procéder avec raison : N’est-ce pas ton avis ? — L’É. Oui. — L. M. Par conséquent, sans la raison, il n’y a point d’art. — L’É. C’est un point que je t’accorde encore. — L. M. Crois-tu que les animaux, qui n’ont l’usage ni de la parole, ni de la raison, comme on dit, soient capables de procéder avec raison ? — L’É. En aucune façon. — L. M. Tu vas donc reconnaître ou que les perroquets, les pies, les corbeaux sont des animaux raisonnables ou que tu as trop légèrement donné le nom d’art à l’imitation. On sait en effet que les oiseaux apprennent, à l’école de l’homme, à produire certains chants, certains sons, et qu’ils n’y arrivent que par l’imitation. As-tu une autre opinion ? — L’É. Je ne saisis pas très-bien la conséquence de ton raisonnement, ni ce qu’elle peut avoir de décisif contre ma réponse. — L. M. Je t’avais demandé si les joueurs de cithare, de flûte et autres gens de ce métier possédaient l’art musical, quoiqu’ils ne dussent qu’à l’imitation les effets qu’ils produisaient sur leurs instruments. Ils possèdent l’art, m’as-tu répondu ; ce qui est si vrai, as-tu ajouté, que presque tous les arts seraient en péril si l’on en retranchait l’imitation. On peut donc conclure de tes paroles, qu’on procède avec art, lorsqu’on atteint un but par imitation, quand bien même on ne devrait pas à l’imitation la connaissance de l’art. Or, si l’imitation se confond avec l’art, et l’art avec la raison, imitation et raison sont la même chose ; mais l’animal sans raison ne fait pas usage de la raison ; il ne possède donc pas l’art, et comme il est capable d’imiter, l’art ne peut se confondre avec l’imitation.

  1. Tempori signifie aussi circonstance ; c’est un jeu de mots intraduisible.