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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/582

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78. Que personne ne nous trompe ; tout ce qui est justement blâmé est rejeté en comparaison de ce qui est meilleur[1].

Or toute créature, fût-elle la dernière, la moins digne de notre estime, est encore préférable au néant : de plus on n’est jamais bien, tant qu’il est possible d’être mieux. Si donc il nous est donné de pouvoir jouir de la vérité même, il ne convient pas de nous arrêter sur quelques-unes de ses traces, et bien moins encore sur ses derniers vestiges en nous attachant aux plaisirs de la chair. Ainsi domptons les séductions et les douleurs de cette passion. Si nous sommes hommes, soumettons cette femme. Sous notre conduite elle deviendra meilleure, et perdra le nom de passion pour prendre celui de tempérance. Car si elle nous conduit et nous impose ses volontés, elle s’appelle passion et débauche, et nous, légèreté et folie. Suivons le Christ notre chef, afin d’être suivis à notre tour par celle dont nous sommes le chef. Ce commandement peut être adressé également aux femmes, non par droit marital, mais par droit fraternel ; car en vertu de ce droit il n’y a dans la société du Christ ni homme ni femme. Celles-ci ont reçu également quelque chose de viril, pour dompter l’attrait des voluptés efféminées, pour servir le Christ et commander à la passion. C’est le spectacle que présentent depuis la formation du peuple chrétien une foule de vierges et de veuves, beaucoup de femmes soumises au mariage, mais sachant en observer les devoirs dans l’union fraternelle. Quant à cette partie de nous-mêmes que Dieu nous commande de dominer, sur laquelle il nous excite et nous aide à rétablir notre autorité, si par négligence ou par impiété, l’homme, c’est-à-dire l’esprit et la raison, se laisse dominer par elle, quelle honte et quelle indignité1 Mais il mérite dans cette vie et il obtiendra réellement dans l’autre la destinée et la place que juge convenable le Maître suprême, le Souverain Seigneur. Ainsi donc il n’est aucune difformité qui souille l’univers considéré dans son ensemble.

CHAPITRE XLII.

LA VOLUPTÉ CHARNELLE, INVITE ELLE-MÊME À CHERCHER L’UNITÉ.

79. Par conséquent, avançons pendant que le jour est pour nous, c’est-à-dire pendant qu’il nous est donné de faire usage de la raison pour nous tourner vers Dieu ; pour mériter d’être éclairés par son Verbe, la véritable lumière, et n’être pas enveloppés dans les ténèbres[2]. Le jour, c’est l’éclat de cette lumière « qui éclaire tout homme venant en ce monde[3]. » — « Tout homme », est-il écrit ; car il peut user de sa raison, et chercher pour se relever un point d’appui où il est tombé.

Si donc on aime les voluptés charnelles, qu’on les considère avec attention ; et si l’on y découvre les vestiges de quelques nombres, qu’on cherche où sont les nombres dégagés de la matière ; car là se trouve davantage l’unité. Sont-ils ainsi dans le mouvement vital, principe de la reproduction ? il faut les y admirer plutôt que dans le corps lui-même. Car si les nombres étaient matériels dans la semence comme la semence elle-même, de la moitié d’une graine de figue naîtrait une moitié d’arbre, et pour la génération des animaux, si la matière séminale n’était pas non plus tout entière, elle ne pourrait produire l’être tout entier, et un seul germe si petit ne pourrait avoir une force illimitée de reproduction. Mais un seul germe est si fécond qu’il suffit pour propager indéfiniment pendant des siècles et selon sa nature les moissons par les moissons, les forêts par des forêts, les troupeaux par les troupeaux, les peuples par les peuples ; et pendant une si longue succession, il n’est pas une feuille, pas un cheveu qui ne trouve sa raison d’être dans cette première et unique semence.

Voyons ensuite quels harmonieux et suaves accords retentissent dans les airs au chant du rossignol. Jamais le souffle de ce petit oiseau ne les reproduirait au gré de ses caprices, s’il ne les trouvait comme imprimés immatériellement dans le mouvement même de la vie. Nous pouvons observer le même phénomène dans tous les autres animaux privés de raison, mais doués de sensibilité. Il n’en est aucun qui dans le son de la voix, ou dans tout autre mouvement de ses organes, ne produise un nombre et une mesure propres à son espèce. La science ne les lui a point communiqués, il les trouve dans sa nature, dont les limites ont été fixées par la loi immuable de toutes les harmonies.

  1. 1 Rétract. ch. 13, n. 8.
  2. Jn. 12, 35.
  3. Id. 1,9