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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/583

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CHAPITRE XLIII.

L’HOMME DÉCOUVRE L’ORDRE ET LES PROPORTIONS DANS L’ESPACE ET LE TEMPS. — L’ORDRE PROCÈDE DE L’ÉTERNELLE VÉRITÉ.

80. Revenons à nous-mêmes et mettons de côté ce qui nous est commun avec les arbustes et les animaux. Toujours l’hirondelle bâtit son nid de la même manière ; ainsi en est-il de chaque espèce d’oiseaux. Mais pour nous, comment se fait-il que nous puissions apprécier ces formes qu’ils recherchent, le degré de perfection qu’ils y atteignent, et que comme les maîtres de toutes ces configurations nous sachions en mime temps varier à l’infini la forme de nos édifices et des autres œuvres matérielles ? D’où nous vient de comprendre que ces niasses visibles de la matière sont proportionnellement grandes ou petites ; pourquoi un corps si tenu qu’il soit peut être partagé en deux, et par conséquent divisé à l’infini ; qu’en conséquence, d’un grain de millet à une de ses parties la différence peut être la même que du monde entier à notre corps et qu’il est pour cette faible partie aussi grand que le monde est pour nous ; que ce monde lui-même tire sa beauté de la beauté de ses formes et non de son volume ; qu’il paraît grand non à cause de sa longue étendue, mais à cause de notre petitesse, c’est-à-dire de celle de tous les animaux dont il est peuplé ; et que comme ceux-ci peuvent se diviser à l’infini, ils sont petits non en eux-mêmes, mais comparés à d’autres, surtout à l’ensemble de tout cet univers ? Nous ne pouvons apprécier d’une autre manière le temps qui s’écoule : car toute quantité peut être, dans le temps comme dans l’espace, réduite à sa moitié. Si courte qu’elle soit, elle commente, se continue et finit ; elle est donc nécessairement à sa moitié, lorsqu’on la partage au point où elle commence à incliner vers sa fin. D’après cela une syllabe est brève, si on la compare à une plus longue ; une heure d’hiver est de courte durée, comparée à une heure d’été[1]. Ainsi trouvons-nous courte une heure comparée au jour entier, le jour comparé au mois, le mois à l’année, l’année au lustre, le lustre à un espace plus long, le plus long espace à toute la durée du temps ; et ce n’est ni la durée, ni l’étendue, mais un ordre plein de sagesse qui donne la beauté à cette succession si pleine d’harmonie et si bien graduée dans le temps et dans l’espace.

81. Mais la mesure même de l’ordre vit dans l’éternelle vérité sans s’étendre comme les corps, sans passer avec les années ; sa puissance l’élève au-dessus de tout lieu, son immuable éternité au-dessus de tous les temps. Sans lui cependant la longueur de l’étendue ne peut être ramenée à l’unité, ni la succession des temps se compter sans erreur, le corps même ne peut être corps, ni le mouvement être mouvement. Il est cette unité première qui n’a ni matière ni mouvement, soit dans le fini, soit dans l’infini. Car il ne change, ni selon les lieux, ni selon les temps ; cette unité souveraine étant le Père même de la vérité, le Père de la divine Sagesse, qui est appelée sa ressemblance, parce qu’elle l’égale en tout ; et son image parfaite, parce qu’elle procède de lui. Et comme elle procède de lui tandis que les autres êtres ne sont que par lui, on a raison de la nommer encore son Fils. Elle est la forme première et universelle, réalisant dans toute sa perfection l’unité de celui de qui elle tient l’être ; en sorte que toutes les autres existences doivent se conformer à ce modèle parfait pour être semblables au principe de toute unité.

CHAPITRE XLIV.

TOUT EST RAMENÉ À DIEU PAR LA CRÉATURE RAISONNABLE.

82. Parmi ces êtres, les uns sont non-seulement par cette sagesse, mais encore pour elle : telles sont les créatures douées de raison et d’intelligence, et parmi elles l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu : autrement il ne pourrait contempler l’immuable vérité. D’autres sont formées par elle, mais non point directement pour elle ; car si la créature raisonnable s’attache à son Créateur, de qui, par qui et pour qui elle est, elle commande à tout le reste : à cette vie infime qui la touche et l’aide à dominer le corps ; au corps lui-même, à cette nature, à cette essence du dernier degré ; elle le maîtrisera à son gré, sans éprouver de sa part aucune pénible résistance, parce que loin de lui demander le bonheur, de le rechercher par lui, elle le

  1. Les anciens divisaient le jour en 12 heures égales, plus longues par conséquent en été qu’en hiver.