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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/140

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serai juste, ce sera par votre justice t car je ne serai juste que quand vous m’aurez donné la justice ; et cette justice ne sera la mienne qu’en demeurant en moi, puisqu’elle viendra de vous. Je crois, en effet, à celui qui justifie l’impie, afin que ma foi me soit imputée à justice[1]. Cette justice sera donc à moi, mais non comme si elle m’était propre, comme si j’avais pu me la donner moi-même : ainsi que le croyaient ceux qui se glorifiaient dans la lettre de la loi, et qui dédaignaient la grâce. Car il est dit ailleurs « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice[2] ». Et le Prophète assurément ne se glorifiait point de sa propre justice. Mais rappelons-nous ce mot de l’Apôtre : « Qu’avez-vous que vous n’ayez point reçu[3] ? » Et parlez de votre justice, sans oublier que vous l’avez reçue, et sans rien envier à ceux qui l’ont reçue. Le Pharisien aussi reconnaissait qu’il était redevable à Dieu, quand il disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes ». « Je vous rends grâces », très bien ; « de ce que je ne suis point comme le reste des hommes » : pourquoi ? Te plairait-il d’être bon, parce que les autres sont mauvais ? Que va-t-il ajouter enfin ? « Ils sont injustes, voleurs et adultères, tel qu’est ce Publicain ». Ce n’est plus là se réjouir, c’est insulter. Quant à l’humble captif, « il n’osait lever les yeux au ciel, mais il frappait sa poitrine en disant « Seigneur, soyez-moi propice, car je suis un pécheur[4] ». C’est donc peu de reconnaître que le bien qui est en toi vient de Dieu, si tu ne veilles à ne point t’élever au-dessus de celui qui ne l’a point encore, et qui te devancera peut-être quand il l’aura reçu. Quand Paul lapidait Étienne, de combien de chrétiens n’était-il pas persécuteur ? Et néanmoins après une fois converti, il surpassa ceux qui l’avaient précédé. Dis donc à Dieu ce que tu entends dans le psaume : « Seigneur, j’ai mis en vous mon espoir, je ne serai point confondu éternellement[5]. Délivrez-moi, rachetez-moi, dans votre justice », et non dans la mienne. « Inclinez votre oreille vers moi ». C’est là confesser sa bassesse. Dire : « Inclinez-vous vers moi », c’est avouer que l’on ressemble ami malade qui est couché devant le médecin qui est debout. Vois enfin que c’est un malade qui parle : « Inclinez votre oreille jusqu’à moi, et sauvez-moi ».
5. « Soyez pour moi un Dieu protecteur ». Que les flèches de l’ennemi ne m’atteignent point, car je ne puis me défendre. C’est peu que « Dieu soit mon protecteur » ; le Prophète ajoute : « Servez-moi de forteresse, afin de me sauver[6] ». « Soyez pour moi une forteresse », soyez vous-même mon lieu fortifié. Où donc allais-tu, Adam, lorsque tu fuyais Dieu, et que tu te cachais dans les arbres du jardin ? Où allais-tu, quand tu fuyais sa face qui avait fait ta joie[7] ? Tu l’as fui, et tu es mort ; tu es devenu captif, et Dieu te recherche et ne t’abandonne point ; il laisse sur les montagnes ses quatre-vingt-dix-neuf brebis, et recherche la brebis égarée ; et en la retrouvant il s’écrie : « Il était mort et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé[8] ». Ainsi Dieu devient le lieu de noire refuge, lui qui tout d’abord nous faisait craindre et fuir. « Soyez pour moi », dit le Prophète, « un lieu fortifié, afin de me sauver ». Je ne puis avoir de salut qu’en vous ; si vous n’êtes mon repos, mon mal ne saurait se guérir. Levez-moi de terre, que je me repose en vous, afin que je m’élève dans un lieu sûr. Qu’y a-t-il de plus sûr ? Quels adversaires, dis-moi, pourras-tu craindre, quand il sera ton refuge ? Qui pourra t’atteindre de ses traits cachés ? Je ne sais de quel homme on raconte que du sommet d’une montagne il cria à l’empereur qui passait : Je n’ai cure de toi, et à qui l’empereur répondit : Ni moi de toi. Il n’avait que le dédain pour un empereur avec des armes éclatantes, et une puissante armée. Où était-il ? dans un lieu fortifié. S’il se trouvait en sûreté, sur un terrain élevé, que sera-ce de toi, en celui qui a fait le ciel et la terre ? « Soyez donc pour moi un Dieu protecteur, un lieu de sûreté afin de me sauver ». Et si je me choisis un autre lieu, il n’y a point de salut pour moi. Cherche, ô homme, si tu peux trouver un lieu plus fortifié. Tu ne saurais échapper à Dieu qu’en fuyant vers Dieu. Si tu veux échapper à sa colère, cherche un refuge dans sa miséricorde. « C’est vous, en effet, qui êtes mon ferme appui, vous qui êtes mon refuge ». Qu’est-ce à dire : « Mon ferme appui ? » C’est par vous que je suis ferme, en vous qu’est ma force. « Car c’est vous qui êtes mon ferme appui, vous qui êtes mon

  1. Rom. 4,5
  2. Ps. 7,9
  3. 1 Cor. 4,7
  4. Lc. 18,11-13
  5. Act. 7,59
  6. Ps. 70,3
  7. Gen. 3,8
  8. Lc. 15,4-24