Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


accompli ; croyons donc l’autre qui s’accomplira également. Dieu ayant fait ce qu’il y a de plus incroyable, ne nous accorderait pas ce qui l’est moins ? Dieu en effet peut faire de nous des Anges, puisque d’une terre abjecte il a fait de nous des hommes. Que deviendrons-nous ? Des Anges. Qu’avons-nous été ? On a honte de le rappeler ; je suis forcé d’y penser et je rougis de le dire. Qu’avons-nous été ? De quoi Dieu a-t-il formé les hommes ? Qu’étions-nous avant d’être ? Rien. Qu’étions-nous dans le sein de nos mères ? C’est assez. De ce que vous étiez alors, élevez maintenant votre esprit à ce que vous êtes aujourd’hui. Vous vivez : les plantes et les arbres vivent aussi. Vous sentez : les animaux sentent également. Vous êtes hommes, et ce qui vous élève bien au-dessus des animaux, c’est que vous avez l’intelligence des dons immenses que Dieu, nous a faits. Oui, vous vivez, vous sentez, vous comprenez, vous êtes hommes. Qu’y a-t-il de comparable à tant de faveurs ? C’est que vous êtes chrétiens. Et si nous n’avions pas reçu cette grâce, que nous servirait d’être hommes ? Nous sommes donc chrétiens ; nous appartenons au Christ. Que le monde se courrouce ; il ne nous domptera point, car nous appartenons au Christ. Que le monde nous flatte ; il ne nous séduira point, nous appartenons au Christ.

5. Nous avons trouvé, mes frères, un puissant protecteur. Vous savez comment les hommes s’appuient sur leurs patrons. On menace le client d’un puissant du monde. Tant que mon seigneur un tel a la tête sur les épaules, répond-il, tu ne peux rien contre moi. Et nous, ne saurions-nous dire avec bien plus de force et d’assurance : Tant que notre Chef est vivant, tu ne peux rien contre nous ? Notre protecteur en effet est aussi notre Chef. D’ailleurs ceux qui s’appuient sur un patron ordinaire ne sont que ses clients ; nous sommes, nous, les membres de notre protecteur ; qu’il continue à nous communiquer la vie ; personne ne saurait nous arracher à lui, quels que soient les maux que nous ayons à souffrir dans ce monde, car tout ce qui passe n’est rien, et nous parviendrons à des biens qui ne passeront pas, nous y parviendrons par la souffrance, et une fois que nous y serons, qui nous en privera ? On ferme les portes de Jérusalem, on y place même des verrous et on peut dire à cette cité : « Loue le Seigneur, Jérusalem ; ô Sion, loue ton Dieu. Il affermit les verrous de tes portes ; il bénit tes enfants dans ton enceinte et il a placé la paix sur tes remparts. » Or, quand les portes sont closes et les verrous fermés, aucun ami ne sort, il n’entre aucun ennemi. C’est donc là que nous jouirons d’une tranquillité véritable et assurée, pourvu qu’ici nous n’abandonnions pas la vérité.


SERMON CXXXI. Prononcé en 417 le dimanche, 9 des calendes d’Octobre, au tombeau de Saint Cyprien. SUR LA GRACE[1].

ANALYSE. – Quelqu’avantageuse que fut la promesse de l’Eucharistie, plusieurs n’y crurent pas. C’est que la grâce est nécessaire pour croire, pour mener une sainte vie et pour persévérer dans le bien. Pourquoi revenir si souvent sur ce sujet ? C’est que plusieurs aujourd’hui le méconnaissent parmi les Chrétiens eux-mêmes. Déjà les Juifs attribuaient à la grâce la rémission des péchés, la guérison des langueurs de l’âme, l’exemption de la corruption et le couronnement des mérites. Et aujourd’hui que le Sauveur à répandu la grâce par tout l’univers, on peut la méconnaître comme la méconnaissaient les Pharisiens ? Mais la cause est jugée, car Rome a parlé.

1. Nous avons entendu le Maître de la vérité, le Rédempteur divin, le Sauveur des hommes recommander à notre amour le sang qui nous a rachetés. Car en nous parlant de son corps et de son sang, il a dit que l’un serait notre nourriture et l’autre notre breuvage. Les fidèles reconnaissent ici le Sacrement des fidèles. Mais qu’y voient les catéchumènes ? Afin donc d’exciter notre ardeur pour une telle nourriture et pour un breuvage si divin, le Sauveur disait : « Si vous ne mangez ma chair et si vous ne buvez mon sang, vous n’aurez pas en vous la vie », et c’est la Vie même qui parlait ainsi de la vie, et pour celui qui accuserait la Vie de mentir, cette vie deviendrait la mort. Ce fut alors que se scandalisèrent, non pas tous les disciples, mais un grand nombre et ceux-ci disaient en

  1. Jn. 6, 54-66