Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/559

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une chair mortelle ? Pour toi c’était un piège, et, ce qui faisait ta joie, a fait ta perte. Tu tressaillais en le trouvant, et tu gémis maintenant d’y avoir tout perdu. Pour nous, mes frères, pour nous qui croyons au Christ, demeurons dans sa parole. En y demeurant, nous serons véritablement ses disciples ; car il n’a pas pour disciples que ses douze Apôtres, il a encore tous ceux qui demeurent dans sa parole. Ainsi nous connaîtrons la vérité, et la Vérité, c’est-à-dire le Christ, le Fils de Dieu qui a dit : « Je suis la Vérité[1] », la Vérité nous délivrera : elle nous rendra libres, elle nous affranchira, non pas du joug des barbares, mais de la tyrannie du démon, non pas de la captivité qui pèse sur le corps, mais de l’iniquité qui enchaîne l’âme. Seul d’ailleurs il peut nous procurer cette liberté. Que nul donc ne se croie libre, s’il ne veut rester esclave. Mais notre âme ne restera point dans l’esclavage, puisque chaque jour lui remet ses dettes.


SERMON CXXXV. À PROPOS DE L’AVEUGLE-NÉ[2].

ANALYSE. – Ce discours est la solution de deux difficultés qu’on élève devant saint Augustin à propos de l’histoire de l’aveugle-né. 1° Jésus-Christ disant alors qu’il était obligé de « faire les œuvres de son Père », n’est-ce pas une preuve qu’il est inférieur à son Père ? Non, car d’autres textes prouvent clairement que les œuvres et la nature du Père son aussi les œuvres et la nature du Fils. 2° Est-il vrai, comme le dit l’aveugle-né, et dans un sens absolu, que Dieu n’exauce point les pécheurs ? Non ; autrement personne ne devrait prier, car tous les hommes, et les plus saints eux-mêmes, ont des fautes à se reprocher et en demandent pardon en priant.


1. La lecture du saint Évangile vient de nous rappeler que le Seigneur Jésus a ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si nous considérons, mes frères, le châtiment dont nous avons hérité, le monde entier est cet aveugle, et si le Christ est venu lui rendre la vue, c’est que le démon l’avait aveuglé ; en trompant le premier homme, il a fait de nous tous des aveugles-nés. Courons donc à Celui qui nous rendra la vue, courons, croyons, recevons sur nos yeux la boue faite avec sa salive. La salive n’est-elle pas comme le Verbe même, et la terre, comme sa chair ? Lavons-nous la face dans la fontaine de Siloé. Que signifie Siloé ? L’Évangéliste a dû nous le dire : Siloé, selon lui, « signifie envoyé. » Et quel est l’envoyé, sinon Celui qui a dit dans notre Évangile : « Je suis venu faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé ? » Voilà le véritable Siloé lavez-vous y la face, recevez son baptême, recouvrez la lumière, et voyez, vous qui ne voyiez pas jusqu’alors.
2. Et d’abord ouvrez les yeux à ces paroles « Je suis venu faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé. » Voici un Arien qui se lève : vous voyez bien, dit-il, que le Christ ne fait pas ses propres œuvres, mais les œuvres du Père qui l’a envoyé. – Mais l’Arien ne parlerait pas ainsi, s’il voyait clair, s’il se lavait la face dans Siloé, dans Celui qui a été envoyé. Que dis-tu donc, Arien ? – biais c’est lui-même qui l’affirme, répond-il. – Qu’affirme-t-il ? – « Je suis venu faire les « œuvres de Celui qui m’a envoyé. » – Donc ce ne sont pas les siennes ? – Sans doute. — Pourquoi alors, pourquoi ce Siloé, cet envoyé, ce Fils de Dieu, ce Fils unique que tu regardes avec douleur comme un Fils dégénéré, pourquoi dit-il : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi[3] ? » Tu prétends qu’il ne faisait pas ses propres œuvres parce qu’il s’est présenté comme faisant « les œuvres de son Père. » Je pourrais répliquer, en m’appuyant sur tes principes, que le Père possédait le bien d’autrui. Comment prouverais-tu en effet que ces mots : « Je suis venu « faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé », indiquent que ces œuvres n’étaient pas en même temps celles du Christ ?
3. J’en appelle à vous, Seigneur Jésus, décidez cette question, finissez-en avec cette dispute. Le Sauveur répond : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi. » Si c’est à vous, s’ensuit-il donc que ce n’est pas à votre Père ? – Jésus ne dit pas Mon Père m’a donné tout ce qu’il possède, et toutefois ce langage n’aurait t’ait que prouver son égalité avec lui. Il dit : « Tout ce qui est à mon Père, est à

  1. Jn. 14, 6
  2. Jn. IX
  3. Jn. 16, 15