Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/150

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âme, puisqu’il est dit « Pour vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme[1] ». Mais ce qui est dans le calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses jugements est inaccessible au trouble ; mais on a appelé sa colère, cette émotion occasionnée par ses lois chez ses ministres. Or, l’âme qui supplie dans ce psaume, redoute d’être accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette réprimande qui la corrigerait ou l’instruirait. Car il y a dans le grec παιδεύῃς, c’est-à-dire enseignez. Au jour du jugement seront convaincus tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ ; mais ceux qui sur cette base auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés ou purifiés, ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme par le feu[2]. Que peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé ni repris dans sa colère ? Que demander, sinon d’être guéri, puisque la guérison ne nous laisse à craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu ou le fer ?

4. Le Psalmiste poursuit donc : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce que mes os sont ébranlés[3] », et par ces os il entend la force de l’âme ou le courage. L’âme donc, en parlant de ses os, se plaint de son courage qui est ébranlé ; mais gardons-nous de croire qu’elle ait des os comme ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le Prophète ajoute « Et mon âme est dans un trouble « profond », afin que l’on n’applique point au corps, ce qu’il appelait des os. « Et vous, Seigneur, jusques à quand[4] ? » Qui ne verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché l’a précipitée ? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement ; mais une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous l’avons recouvrée. Loin de nous cette pensée qu’il y ait de la cruauté dans ce Dieu à qui l’on dit : « Jusques à quand tarderez-vous à me guérir ? » mais il veut dans sa bonté montrer à l’âme quelle blessure elle s’est faite. Car cette âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire : « Ta prière ne sera pas achevée que je répondrai : Me voici[5] ». Dieu veut encore nous montrer quel sera le châtiment des impies qui refusent de retourner à lui, si la conversion nous est si difficile ; dans ce sens il est dit ailleurs : « Si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie[6] ? »

5. « Revenez à moi, Seigneur, et délivrez « mon âme[7] ». En revenant à Dieu, le pécheur le supplie de se tourner vers lui, comme il est écrit : « Revenez à moi, dit le Seigneur, et je reviendrai à vous[8] » Mais cette expression : « Revenez, Seigneur », voudrait-elle dire : Aidez-moi dans mon retour, à cause des difficultés et du labeur que rencontre un retour à Dieu ? Car notre conversion parfaite au Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que l’a dit le Prophète : « Nous le trouvons prêt comme la lumière du matin[9][10] ». Nous l’avons perdu, en effet, non qu’il se soit retiré de nous, puisqu’il est présent partout, mais bien parce que nous lui avons tourné le dos. « Il était en ce monde », est-il dit, « et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu[11] ». Si donc il était en ce monde sans que le monde le connût, c’est que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous convertir, ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à l’image de Dieu, nous ressentons le douloureux labeur d’échanger les terrestres voluptés contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible tâche nous disons « Revenez à moi, Seigneur », c’est-à-dire, aidez-moi, afin que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours prêt, et vous donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir dit : « Revenez à moi, Seigneur », le Prophète a-t-il ajouté : « Et délivrez mon âme », que retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à vous, se sent déchirer par l’aiguillon des désirs. « Sauvez-moi », dit-il, « à cause de votre miséricorde[12] ». Il sent qu’il n’est point guéri par ses propres mérites, puisqu’un pécheur, un violateur de la loi ne devait s’attendre en justice qu’à la damnation. Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je l’aie mérité, mais à cause de votre miséricorde.

6. « Car nul après la mort ne se souvient de vous[13] ». Il comprend que c’est en cette vie qu’il faut nous convertir, car après la mort il ne reste plus à chacun qu’à recevoir

  1. Sag. 12,18
  2. 1Co. 3,11
  3. Psa. 6,3
  4. Id. 4
  5. Isa. 65,21
  6. 1Pi. 4,18
  7. Psa. 6,5
  8. Zac. 1,3
  9. Ose. 6,3
  10. selon les LXX
  11. Jn. 1,10
  12. Psa. 6,3
  13. Id. 6