Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/102

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L’œil voit, mais n’entend point, l’oreille entend et ne voit point ; la main agit, sans voir ni entendre ; le pied marche, sans entendre, sans voir, sans agir comme la main. Mais quand le corps est en santé, les membres n’ont aucun litige l’un contre l’autre : l’oreille voit au moyen de l’œil, et l’œil entend au moyen de l’oreille : et l’on ne saurait reprocher à l’oreille de ne point voir, ni lui dire Tu n’as rien, tu es en défaut : pourrais-tu voir et discerner les couleurs comme le fait l’œil ? Pour se maintenir en paix dans le corps, l’oreille doit répondre et dire : Je suis où est l’œil, dans le même corps. Par moi je ne vois point, mais je vois par celui qui m’accompagne. De même que l’oreille dit : L’œil voit pour moi, l’œil peut dire : L’oreille entend pour moi, et tous deux, l’œil et l’oreille, diront : La main agit pour nous ; et les mains diront : Les yeux et les oreilles entendent et voient pour nous ; et les yeux, les oreilles, et les mains diront : Les pieds marchent pour nous ; et lorsque tout agit dans le corps, s’il y a dans les membres union et santé, tous se réjouissent et se communiquent leur joie[1]. Et si quelque membre vient à souffrir, les autres, loin de l’abandonner, souffrent avec lui. Bien que dans le corps le pied soit très éloigné de l’œil (car l’un est tout en haut, et l’autre tout en bas), l’œil abandonne-t-il le pied ? quand on marche sur une épine, ne voyons-nous pas tout le corps se courber, l’homme s’asseoir, et s’incliner afin de chercher cette épine, qui s’est enfoncée à la plante du pied ? Tous les membres s’efforcent de tirer cette épine du lieu le plus bas et le moindre de tout le corps. Ainsi donc, mes frères, quiconque, dans le corps mystique du Christ, ne peut ressusciter un mort, ne doit point chercher à le faire, mais seulement à se mettre en harmonie avec tout le corps. Ainsi l’oreille qui voudrait voir, serait un désaccord. Car elle ne saurait faire ce qui n’est point dans ses fonctions. Mais que l’on vienne vous dire : Si vous étiez juste, vous ressusciteriez les morts, comme l’a fait saint Pierre ; répondez que les Apôtres paraissent avoir fait au nom du Christ des miracles Plus grands que ceux de Jésus-Christ lui-même[2]. Mais dans quel but ? Était-ce donc pour donner aux branches la prépondérance sur la racine ? Comment donc Paraissent-ils avoir fait des miracles supérieurs à ceux du Christ lui-même ? Ce fut la voix du maître qui ressuscita les morts, tandis que Pierre ressuscita les morts de son ombre seulement[3]. L’un semble plus grand que l’autre. Seulement le Christ pouvait opérer sans Pierre, mais non Pierre sans Jésus-Christ : « Car sans moi vous ne pouvez rien faire[4] ». Aussi, qu’un homme qui avance dans la piété entende cette abjecte calomnie dans la bouche de quelques païens, d’hommes qui ne savent ce qu’ils disent ; qu’il réponde, en se tenant dans l’union du Christ : Toi, qui me dis : Tu n’es pas juste, puisque tu ne fais aucun miracle ; pourrais-tu dire à l’oreille : Tu n’es pas dans le corps humain ; puisque tu ne vois pas ? Fais des miracles, me dis-tu, comme saint Pierre en faisait ; mais c’est pour moi que Pierre opérait ces miracles, puisque je suis dans ce même corps d’où Pierre les faisait. Je puis en lui ce qu’il pouvait, puisque je ne suis point séparé de lui : si je puis moins, il compatit à ma faiblesse ; s’il peut davantage, j’en partage la joie[5]. Le Christ au nom de tout son corps n’a-t-il pas crié du haut des cieux : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[6] ? » Et pourtant, nul ne le touchait ; mais la tête criait d’en haut pour le corps qui souffrait sur la terre.
7. Si donc, mes frères, chacun fait avec justice tout ce qu’il peut, s’il ne porte aucune envie à celui qui peut davantage, s’il lui en témoigne de la joie, parce qu’il est avec lui dans un même corps ; il chante avec le psaume : « Seigneur, mon cœur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Ce qui est au-dessus de mes forces, dit le Prophète, je ne l’ai point cherché : je ne m’y suis point avancé, je n’y ai point cherché ma gloire. Rien, en effet, n’est à craindre comme cette élévation du cœur, qui provient des dons de la grâce : que nul donc ne s’enorgueillisse des dons du Seigneur, mais que chacun se maintienne dans l’humilité, qu’il suive ce précepte de l’Écriture : « Plus tu es grand, plus il faut t’humilier en tout, afin de trouver grâce devant le Seigneur[7] ». Il faut donc de plus en plus insister auprès de votre charité, pour lui montrer combien est à craindre l’orgueil qui vient des dons du Seigneur ;

  1. 1 Cor. 12,26
  2. Jn. 14,12
  3. Act. 5,15
  4. Jn. 15,5
  5. 1 Cor. 12,15-16
  6. Act. 9,4
  7. Sir. 3,18