Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/106

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point eu des sentiments d’humilité, et si j’ai élevé mon âme ; que cette âme soit châtiée comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère ». Notre mère, c’est l’Église dont ils se sont séparés : c’est là qu’ils devaient être nourris et allaités, afin qu’ils pussent croître et comprendre ce Verbe de Dieu qui est en Dieu, et qui dans sa nature est égal au Père.
12. Ceux qui ont expliqué ce psaume avant nous ont donné un autre sens à ces paroles et ont émis une pensée que je ne veux point soustraire à votre charité. Tout orgueil déplaît à Dieu, ont-ils dit, et l’âme humaine se doit humilier pour ne point déplaire à Dieu, et s’appliquer à considérer cette parole : « Plus tu es élevé, plus tu dois t’humilier en tout, et tu trouveras grâce devant Dieu[1] ». Mais il est aussi des hommes qui, entendant qu’ils doivent être humbles, se découragent, ne veulent rien savoir, se persuadent qu’ils ne peuvent apprendre sans être orgueilleux ; ils demeurent toujours au lait de l’enfance. L’Écriture les réprimande en disant : « Vous voilà tels que vous avez encore besoin de lait, et non d’une solide nourriture[2] ». Dieu veut donc que nous prenions du lait, non pas afin de demeurer toujours en cet état, mais afin que nous prenions de l’accroissement pour arriver à la solide nourriture. L’homme donc, sans élever son âme jusqu’à l’orgueil, doit l’élever dans la connaissance de la parole de Dieu. Si son âme ne devait point s’élever, le Prophète ne dirait point dans un autre psaume : « Seigneur, j’ai élevé mon âme vers vous[3] ». Et si son âme ne se répandait point au-dessus d’elle-même, elle n’arriverait point à la vision de Dieu, à la connaissance de son immuable substance. Maintenant qu’il est encore dans la chair, on lui dit : « Où est ton Dieu[4] ? » Mais Dieu est à l’intérieur, et cet intérieur est spirituel, comme son élévation est spirituelle ; on ne la mesure point par la distance des lieux, comme cette distance mesure les élévations terrestres. S’il était question d’une telle hauteur, les oiseaux seraient plus près de Dieu que nous autres. Dieu donc est élevé, mais cette élévation est spirituelle ; et l’âme ne saurait l’atteindre qu’en s’élevant au-dessus d’elle-même. L’idée que vous donneraient de Dieu les sens ne serait qu’une erreur. Tu n’es qu’un enfant, si tu attribues à Dieu ce qui tient à l’âme de l’homme, comme l’oubli, le goût ou le dégoût, le repentir de ses actions ; car si l’Écriture emploie ces locutions, c’est pour nous parler de Dieu comme à des enfants qu’on allaite, et non pour nous faire prendre à la lettre que Dieu a du repentir, qu’il apprend ce qu’il ne connaissait pas encore, qu’il comprend ce qu’il n’avait pas compris, qu’il se ressouvient de ce qu’il avait oublié. Tout cela est propre à l’âme, et non à Dieu. Si donc l’homme ne s’élève au-dessus de son âme, il ne verra pas que Dieu est ce qu’il est ; comme il l’a dit : « Je suis celui qui suis[5] ». Que répond dès lors celui à qui l’on disait : « Où est ton Dieu ? » « Mes larmes ont été mon pain le jour et la nuit, pendant « qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ? » Qu’a-t-il fait pour retrouver son Dieu ? « Voilà », dit-il, « ce que j’ai médité ; j’ai répandu mon âme au-dessus de moi[6] ». Afin de trouver Dieu, il a répandu son âme au-dessus de lui-même. Te dire : Sois humble, ce n’est donc point t’interdire la science. Sois humble à cause de l’orgueil, mais sois élevé en sagesse. Écoute une parole bien claire à ce sujet : « Ne soyez point enfants selon l’esprit, mais soyez enfants par la malice, afin d’être parfaits selon l’esprit[7] ». Il ne pouvait mieux nous expliquer en quoi Dieu veut que nous soyons humbles, et en quoi il nous veut élevés ; humbles, afin d’éviter l’orgueil ; élevés, afin d’atteindre la sagesse. Prends donc du lait pour te nourrir ; nourris-toi afin de croître, et crois afin d’arriver à une solide nourriture. Dès que tu commenceras à manger du pain, tu seras sevré, c’est-à-dire que tu n’auras plus besoin de lait, mais d’une forte nourriture. Voilà ce que paraît dire le Prophète : « Si je n’ai pas eu des sentiments humbles, et si j’ai élevé mon âme » ; c’est-à-dire, si j’ai été un enfant, non par l’esprit, mais par la malice. Et pour le marquer plus clairement, il avait dit : « Seigneur, mon cœur ne s’est pas enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché sur les hauteurs, ni prétendu aux merveilles qui me surpassent ». Me voilà un enfant par la malice. Mais parce que je n’ai pas été un enfant par l’esprit, j’ajoute : « Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, et si j’ai élevé mon âme au-dessus de moi », qu’il me soit

  1. Sir. 3,18
  2. Héb. 5,12
  3. Ps. 24,1
  4. Id. 41,4
  5. Exod. 3,14
  6. Ps. 41,4-5
  7. 1 Cor. 14,20