Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/112

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Voilà tel objet qui me blesse ; quand même cet objet te plairait, tu l’enlèverais afin de ne point blesser un homme dont tu brigues l’amitié. Or, de quoi peut te servir l’amitié d’un homme ? Peut-être n’y a-t-il aucune protection à espérer, et qu’un danger à courir. Plusieurs en effet ne couraient aucun danger avant d’être liés avec des grands, et n’ont trouvé que de plus grands périls dans ces liaisons tant ambitionnées, Mais désire en toute sécurité l’amitié du Christ. Il veut loger chez toi ; fais-lui une place. Qu’est-ce à dire : Fais-lui une place ? Aime-le sans t’aimer toi-même. T’aimer toi-même, c’est lui fermer la porte. L’aimer, c’est au contraire la lui ouvrir. Si tu lui ouvres, et qu’il entre, tu ne périras pas en t’aimant, puisque tu seras avec celui qui t’aime.
7. « Je n’entrerai point dans ma maison, je ne monterai point sur mon lit de repos ». Un bien privé, quand un homme y trouve son repos, donne de l’orgueil ; aussi le Prophète nous dit-il : « Je ne monterai point ». Qu’un homme, en effet, possède un bien propre, il en devient nécessairement orgueilleux. Il veut s’en prévaloir contre un autre, et tous deux ne sont que chair. Hélas ! mes frères, qu’est-ce que l’homme ? Un peu de chair, Et qu’est-ce que l’autre homme ? Encore un peu de chair. Et toutefois la chair d’un riche s’élève contre la chair d’un pauvre, comme si cette chair avait apporté quelque chose en naissant, ou devait emporter quelque chose à la mort. Tout son avantage n’est qu’une plus grande enflure. Mais celui qui veut trouver une demeure pour le Seigneur lui dit : « Je ne monterai point sur la couche de mon repos ».
8. « Je ne donnerai point de sommeil à mes yeux ». Il en est beaucoup qui dorment sans préparer un lieu au Seigneur. Et voilà que l’Apôtre les réveille : « Levez-vous, ô vous qui dormez, sortez d’entre les morts, et le Christ vous illuminera[1] ». Et dans un autre endroit : « Nous qui sommes enfants de la lumière, veillons et soyons sobres : car ceux qui dorment, dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit[2] ». Il entend par la nuit, l’iniquité dans laquelle s’endorment ceux qui désirent les biens terrestres. Or, toutes ces félicités qui brillent en ce monde ressemblent aux songes d’hommes endormis. Et de même qui voit en songe un trésor, est riche durant son sommeil ; mais à peine est-il éveillé qu’il redevient pauvre : de même toute la joie que donnent les biens de ce monde n’est que la joie d’un songe ; ces hommes endormis s’éveilleront contre leur gré s’ils ne savent point s’éveiller quand il en est temps, et ils verront que tout cela n’était qu’un songe qui s’est évanoui, selon le mot de l’Écriture : « Comme le songe d’un homme qui s’éveille[3] ». Et ailleurs : « Ces hommes ont dormi leur sommeil, et n’ont o plus rien trouvé dans leurs mains de toutes leurs richesses[4]. Ils ont dormi leur sommeil », le sommeil est passé, « et ils n’ont plus rien trouvé dans leurs mains », parce que dans leur sommeil ils ne voyaient que des richesses passagères. Ainsi donc doit parler celui qui veut trouver en lui une place pour le Seigneur : « Je ne donnerai aucun sommeil à mes yeux ». Or, il en est qui ne dorment pas, mais qui sommeillent. Ils se désaffectionnent quelque peu des choses temporelles, puis s’en rapprochent bientôt ; ils laissent aller leur tête comme dans l’assoupissement. Eveille-toi, dissipe ton sommeil ; car ce sommeil amènera ta chute. Le Psalmiste veut refuser le sommeil à ses yeux, l’assoupissement à ses paupières, afin de trouver une place au Seigneur.
9. « Ni repos à mes tempes », dit encore le psaume. C’est du repos des tempes que le sommeil vient aux yeux ; car les tempes environnent les yeux. Quand le sommeil arrive, il appesantit les tempes ; et c’est dans les tempes que l’on sent une pesanteur quand l’on va dormir ; et quand cette pesanteur devient sensible, le sommeil est bien proche ; et y laisser aller ses yeux, c’est donner du repos aux tempes, et le sommeil vient ; tandis que refuser aux tempes ce même repos, c’est chasser le sommeil. Dès lors qu’un objet temporel te devient agréable et te porte au péché, voilà que tes tempes s’alourdissent. Veux-tu t’éveiller, ne point dormir, pas même sommeiller ? Ne te livre point à ce plaisir, car tu y trouveras plus d’amertume que de charmes. Avec ces pensées, tu frottes pour ainsi dire ton front, dissipant ton sommeil et préparant une place au Seigneur.
10. « Jusqu’à ce que je trouve un lieu au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob ».

  1. Eph. 5,1-4
  2. 1 Thes. 5,5-7
  3. Ps. 70,1.20
  4. Id. 75,6