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DISCOURS SUR LE PSAUME 134

SERMON AU PEUPLE.

LES ŒUVRES DU SEIGNEUR.

Bénir ou blasphémer le Seigneur, ce n’est point l’agrandir, ni l’amoindrir, c’est pour nous que nous faisons l’un ou l’autre. Mais pour le bénir, il faut avoir le cœur pur, être debout dans sa maison, et non tombé dans le péché. Nous ne pouvons de nous-mêmes que le bénir. Le Seigneur est bon, non comme les créatures qui tirent de lui leur bonté ; il est la bonté même, et en comparaison de lui, nulle créature ne saurait dire complètement : Je suis. Impuissants à le contempler en lui-même, bénissons-le dans ses œuvres. Il nous a donné le pain des anges, en se faisant homme, afin que l’homme pût manger ce pain dès cette vie, et s’élever jusqu’à lui. Son nom : Je suis celui qui suis, paraît trop relevé, et il se proportionne à notre faiblesse, en prenant celui de Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. Il est tel, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour les Gentils qui ont part à l’héritage par la foi, tandis que les enfants du royaume sont bannis. Tandis qu’il a livré aux anges les autres nations, il a choisi spécialement Jacob, non par son propre mérite, mais bien par sa grâce. Ainsi a-t-il greffé l’olivier sauvage sur l’olivier franc. Le Prophète qui est entré dans le sanctuaire de Dieu, nous dit du Seigneur qu’il surpasse tous les dieux, qu’il fait sa volonté, et que louer le Seigneur est le seul acte que nous ne fassions point par quelque contrainte, et que Dieu plaît au juste même dans l’épreuve, et non par l’appât de la récompense. Tel est le sacrifice de louanges, toujours agréable à Dieu, toujours en notre pouvoir. Quant à nous, la loi du péché est un obstacle à notre volonté, en nous-mêmes. Mais Dieu fait sa volonté : dans son Église, c’est-à-dire dans le ciel, symbole des hommes spirituels ; sur terre, symbole des hommes charnels qui doivent obéir ; dans la mer ou chez les infidèles, dans les abîmes ou dans le secret des cœurs. Il fait venir les nuées ou les prédicateurs, des confins de la terre où ils prêchent l’Évangile, et résout les tonnerres en pluie, changeant sa colère en miséricorde, il tire de ses trésors es vente, ou les prédicateurs de sa grâce.

Les châtiments des princes et des pays sont des symboles. Tuer les premiers-nés de l’Égypte, c’est donner la mort à la foi, dans l’Égypte ou dans la persécution, chez les hommes ou chez les hérésiarques, et chez les bêtes, ou le vulgaire qui les imite. Pharaon ou dispersion est le symbole du schisme, Selon la tentation des yeux, les Amorrhéens ceux qui ont le cœur plein de fiel. Og est la fermeture, barre le chemin qui conduit à Dieu, de là Basan ou confusion. Chanaan est celui qui sera humilié par le jugement. Dieu exerce encore ces châtiments d’une manière spirituelle. Il a jugé son peuple en séparant les bons des méchants ; en délaissant les Juifs, il s’est fait une maison d’Israël dans les Gentils qui fléchissent le genou et méprisent leurs idoles. Les obstinés d’entre les idolâtres ont égorgé les chrétiens, mais Dieu prévaut coutre eux par sa grâce, et chaque jour ils embrassent la foi.


1. C’est un devoir bien doux, mes frères, que le devoir auquel nous exhorte ce psaume, et nous devons nous réjouir d’y trouver tant de douceur. « Louez le nom du Seigneur[1] », nous dit-il. Et aussitôt il ajoute, pour nous montrer combien il est juste de louer le Seigneur : « Louez-le, vous qui êtes ses serviteurs ». Quoi de plus juste ? Quoi de plus digne ? Quoi de plus agréable ? Ne pas louer Dieu, c’est pour ses serviteurs l’orgueil, l’ingratitude, l’impiété. Et ne pas louer Dieu, qu’est-ce autre chose qu’éprouver sa sévérité ? Quelle que soit l’ingratitude chez un serviteur, et quoiqu’il s’abstienne de louer son maître, il n’en est pas moins son serviteur. Loue, ne loue pas, tu es toujours serviteur : louer le Seigneur, c’est le rendre propice ; ne point le louer, c’est l’offenser. L’exhortation du psaume est donc bonne, elle est utile, et dès lors il vaut mieux chercher le vrai moyen de louer Dieu, que mettre en doute s’il faut le louer. « Louez donc le nom du Seigneur ». C’est le psaume qui nous engage, le Prophète qui nous engage, l’Esprit de Dieu qui nous engage, le Seigneur lui-même qui nous engage à louer le Seigneur. Ce n’est point lui, mais nous que grandissent les louanges que nous lui donnons ; tes louanges n’élèvent point le Seigneur, tes blasphèmes ne l’abaissent point. Mais toi, en louant sa bonté, tu en deviens meilleur, et pire en le blasphémant. Pour lui, il demeure ce qu’il est dans sa bonté. Si Dieu lui-même apprend à ceux qui ont bien mérité de lui, précisé sa parole, gouverné son Église, béni son nom, obéi à ses préceptes, s’il leur apprend à garder dans le secret d’une bonne conscience la joie d’une sainte vie, à ne pas se laisser corrompre par les louanges, ni abattre par les outrages des hommes ; à combien plus forte raison Dieu lui-même qui nous donne ces leçons, qui est essentiellement immuable, ne sera ni agrandi par tes louanges, ni amoindri par tes outrages !

  1. Ps. 134,1