Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/154

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ne saisis que le reflet d’un moment, tu ne sais point méditer ce qui est éternel, tu ne comprends pas même tes questions. « Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère[1] ? » C’est bien cela, mes frères. Parlez de nos vérités, quelque peu que vous les connaissiez, et voyez combien de railleries vous devez essuyer de la part de ces chercheurs de vérités, qui sont pleins de fausseté. Répondez à ces hommes qui vous demandent ce qu’ils ne peuvent comprendre, et dites-leur avec la hardiesse de notre saint cantique : « Comment chanter les cantiques du Seigneur dans la terre étrangère ? »
12. Mais, ô peuple de Dieu, ô corps du Christ, nobles exilés, car vous êtes d’ailleurs, et non d’ici, comprenez que vous êtes entre leurs mains ; et quand ils vous disent : « Chantez-nous vos hymnes, faites retentir vos concerts, chantez-nous les cantiques de Sion », gardez-vous de vous attacher à eux, de rechercher leur amitié, de craindre de leur déplaire, de trouver du goût à Babylone et d’oublier Jérusalem. Voyez ce que cette crainte suggère au Prophète, écoutez la suite. Car il a souffert celui qui a chanté ces paroles, et cet homme, c’est nous si nous voulons ; il a subi toutes ces questions que lui adressaient, de toutes parts, des hommes aux paroles flatteuses, mais à la critique amère, aux louanges trompeuses, qui demandent ce qu’ils ne sauraient comprendre, et ne veulent point rejeter ce qui remplit leur cœur. Or, au milieu de ces foules importunes, le Prophète se trouvant en péril a relevé bien haut son âme au souvenir de Sion, et a même voulu s’astreindre par une espèce de serment : « Sainte Jérusalem, si jamais je t’oublie[2] ». Ainsi dit-il au milieu des discours de ceux qui le retiennent captif, au milieu des paroles mensongères, des paroles insidieuses de ces hommes demandant toujours sans vouloir comprendre.
13. De ces hommes était ce riche qui interrogeait le Sauveur : « Maître, que ferai-je, pour avoir la vie éternelle[3] ? » Questionner au sujet de la vie éternelle, n’était-ce point demander un cantique de Sion ? « Observez les commandements », lui dit le Sauveur. Et ce fastueux de répondre : « Je les ai tous accomplis dès mon enfance ». Le Seigneur lui parle donc des cantiques de Sion, bien qu’il sût qu’il ne comprendrait point ; mais il voulait nous donner un exemple des conseils que plusieurs semblent nous demander, au sujet de la vie éternelle, et qui nous comblent d’éloges, jusqu’à ce que nous répondions à leurs demandes. À propos de ce jeune homme, il nous apprend à répondre à ces questionneurs insidieux : « Comment chanter les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère ? » Voici sa réponse : « Voulez-vous être parfait ? Allez, vendez ce que vous possédez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi ». Afin d’apprendre les cantiques de Sion, qu’il se dégage de tout empêchement, qu’il marche librement et sans aucun fardeau ; alors il comprendra quelque peu les cantiques de Sien. Ce jeune homme s’en alla triste. Disons derrière lui : « Comment chanter les cantiques de Sion dans la terre étrangère ? » Il s’en alla, il est vrai, mais le Seigneur ne laissa point les riches sans espérance. Car les Apôtres disaient : « Qui donc pourra être sauvé ? » Et le Sauveur répondit : « Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu ». Les riches ont leur règle ; ils ont pour eux un cantique en Sion, cantique dont l’Apôtre a dit : « Ordonnez aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance « dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Précisant ensuite ce qu’ils ont à faire, l’Apôtre enfin touche de la harpe, et ne la suspend point : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres », dit-il, « qu’ils donnent de bon cœur, qu’ils fassent part de leurs biens, qu’ils s’amassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la vie éternelle[4] ». Tel est pour les riches le cantique de Sion, d’abord de ne point s’enorgueillir. Car les richesses élèvent le cœur, et le fleuve entraîne ceux qui s’élèvent. Que leur est-il donc recommandé ? Avant tout de ne point s’enorgueillir. Qu’ils évitent dans les richesses l’effet des richesses mêmes, qu’ils évitent l’orgueil ; car c’est le mal que produisent naturellement les richesses dans les hommes peu défiants. L’or n’est pas mauvais sans doute, puisque Dieu l’a créé ; mais l’avare devient mauvais, quand il délaisse le Créateur pour

  1. Ps. 136,4
  2. Id. 5
  3. Mt. 19,6
  4. 1 Tim. 6,17-19