Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Accablé par le labeur, la misère, la tribulation, l’indigence, il se souvint de son père, et voulut revenir à lui ; et il se dit : « Je me lèverai, et j’irai à mon Père ». « Je me lèverai », dit-il, car il s’était assis. Reconnais-le donc, c’est lui qui dit ici : « Vous avez connu quand je me suis assis, et quand je me suis levé ». Je me suis assis dans l’indigence, et je me suis levé en désirant votre pain. « Vous avez compris de loin mes pensées ». Car je m’étais éloigné de vous, mais où n’est point celui que j’avais abandonné ? « Vous avez compris de loin mes pensées ». Aussi le Seigneur dit-il dans l’Évangile, que son Père alla au-devant de lui quand il revenait[1] ; parce qu’il avait parfaitement compris de loin ses pensées. « Vous avez recherché ma route et mon gîte ». « Ma route », dit le Prophète : quelle route, sinon cette route funeste qu’il avait suivie pour s’éloigner de son père, comme s’il eût pu se cacher et se dérober à sa vengeance ? Aurait-il été réduit à cette misère, en serait-il venu à garder les pourceaux, si son père n’eût voulu le châtier de loin, afin de le recevoir et l’embrasser de tout près ? C’est donc un fugitif qui parle ici, un fugitif pris au fait, et poursuivi par la juste vengeance d’un Dieu qui châtie nos affections secrètes, quelque part que nous allions, quelque lointaine que soit notre fuite ; c’est, dis-je, un fugitif pris au fait qui s’écrie : « Vous avez connu ma route et mon joint d’arrêt ». Qu’est-ce à dire, mon sentier ? le sentier de mes égarements. Qu’est-ce à dire, mon point d’arrêt ? jusqu’où je me suis avancé. « Vous avez connu mon sentier et mes bornes ». Ce point d’arrêt, tout éloigné qu’il fût, n’était pas loin de vos yeux. Je m’étais écarté bien loin et néanmoins vous étiez là. « Vous avez recherché mon sentier, et mon point d’arrêt ».
6. « Vous avez prévu toutes mes voies[2] ». Le Prophète ne dit point vu, mais prévu. Avant mon départ, avant que j’eusse parcouru ces voies, vous les aviez prévues, et vous m’avez laissé les parcourir dans l’affliction, afin que, fatigué de l’affliction, je revinsse à vos sentiers. « Car il n’y a point de déguisement sous ma langue ». Pourquoi parler ainsi ? Je vous en fais l’aveu, j’ai marché dans mes voies, je me suis éloigné de vous ; je me suis séparé de vous qui étiez mon bien et, heureusement pour moi, j’ai rencontré le malheur loin de vous ; heureux loin de vous, je ne fusse point revenu vers vous. C’est donc en confessant ses péchés, en proclamant qu’il est justifié, non par ses propres mérites, mais par la grâce, que le corps de Jésus-Christ a raison de dire : « Ma langue ne cache point la ruse ».
7. « Voilà que vous, Seigneur, connaissez ce qui est récent et ce qui est ancien[3] ». Ce qui est récent, ou mon dernier état quand je gardais les pourceaux ; ce qui est ancien, ou mon premier état quand je vous ai demandé la part de ma substance. Mon premier état n’était qu’un prélude à mes malheurs plus récents. Notre premier péché, c’est notre chute en Adam, notre dernier châtiment est dans cette vie mortelle pleine de douleurs et de périls. Et puisse-t-il être notre dernier ! Il le sera sans doute si nous voulons revenir à Dieu ; car il y aura pour les impies un autre dernier châtiment quand on leur dira : « Aller au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges[4] ». Pour nous, mes frères, qui jusqu’à présent avons abandonné Dieu, qu’il nous suffise d’un labeur qui doit subsister durant cette vie mortelle. Souvenons-nous du pain de notre Père, du bonheur que nous goûtions près de lui : qu’elles n’aient aucun attrait pour nous les gousses des pourceaux, les doctrines des démons. « Voilà, Seigneur, que vous avez connu mon état récent, et mon état ancien » ; l’état récent, l’abîme où je suis tombé ; mon état ancien, ou quand je vous ai offensé. « C’est vous qui m’avez formé, et qui avez posé votre mais sur moi ». « Vous m’avez formé » : où ? Dans cette mortalité, afin d’y endurer les peiner pour lesquelles nous sommes nés. Nul en effet ne saurait naître, si Dieu ne l’a formé dans le sein de sa mère, et il n’est aucune créature dont Dieu ne soit l’artisan. Mais « vous m’avez formé » dans cette vie de douleurs, « et vous avez posé sur moi votre main » vengeresse, qui abat l’orgueilleux ; car Dieu ne terrasse l’orgueilleux que pour son bien, et le relever, s’il devient humble : « Vous m’avez formé, et vous avez posé votre main sur moi ».
8. « Votre science de moi est admirable ; elle s’élève, et je ne saurais l’atteindre ». Écoutez attentivement quelque chose d’obscur,

  1. Lc. 15,11-20
  2. Ps. 138,4
  3. Ps. 138,5
  4. Mt. 25,41