Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/184

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des instruments, est plein d’astuce. Toutefois, le Christ en délivre beaucoup de sa tyrannie et ils se rangent parmi ses membres ; il n’appartient qu’à celui qui les a rachetés de son sang et à leur insu, de les connaître et d’en connaître le nombre. D’autres, sans appartenir au corps du Christ, persévèrent dans leur malice et sont connus de celui à qui rien n’est inconnu. Mais en attendant, comme ceux qui ont leur place parmi ses membres, sans être arrivés à la résurrection future, laquelle mettra fin à tout gémissement et fera place à la louange, de laquelle toute affliction disparaîtra, pour être remplacée par une éternelle allégresse ; comme ceux-là ne possèdent point ce bonheur en réalité, mais seulement en espérance, ils gémissent dans leur impatience, ils supplient Dieu de les délivrer des méchants, parmi lesquels sont forcés de vivre les bons eux-mêmes. Chacun, en effet, n’est pas libre de s’en séparer en toute sûreté ; celui-là seul qui ne peut se tromper doit en faire le discernement. Qu’est-ce à dire, qui ne peut se tromper ? Qui ne saurait mettre le méchant à gauche, et le bon à droite. Pour nous, tant que nous sommes en cette vie, il nous est difficile de nous connaître nous-mêmes ; combien serions-nous téméraires de nous prononcer au sujet des autres ? Tel est méchant aujourd’hui, et nous ne savons ce qu’il sera demain ; tel que nous haïssons est peut-être notre frère, et nous ne le savons pas. Nous pouvons donc en sûreté haïr dans les méchants leur malice, et aimer la créature de manière à aimer l’œuvre de Dieu, à haïr l’œuvre de l’homme ; car c’est Dieu qui a fait l’homme, et c’est l’homme qui a fait le péché ; aime alors ce que Dieu a fait, et hais ce qu’a fait l’homme ; et tu poursuivras ainsi l’œuvre de l’homme, en dégageant l’œuvre de Dieu.
3. « Pour la fin, psaume à David[1] ». Ne cherchons d’autre fin que la fin marquée par saint Paul : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront[2] ». Donc, lorsque le psaume nous dit : « Pour la fin », que vos cœurs se tournent vers le Christ. Le titre d’un psaume est comme un héraut qui nous crie : Il viendra, c’est de lui que je parle, c’est le Christ que je vais chanter. Et par ces mots : « A David lui-même », je n’entends que celui qui viendra dans la lignée de David selon la chair[3]. Car le nom rappelle ici la race, race de David selon la chair, race bien supérieure à David selon l’esprit ; race antérieure non plus à David, mais à Abraham[4] ; non plus à Abraham, mais à Adam ; non plus à Adam, mais au ciel, à la terre, à tous les anges, à toutes les Puissances, à toutes les Vertus, aux choses visibles et aux choses invisibles. Pourquoi ? C’est que pour exister, « toutes choses ont été faites par lui, sans qui rien n’a été fait[5] ». C’est donc parce qu’il est de la lignée de David, non point en sa divinité, puisqu’en elle il est le créateur de David ; mais seulement selon la chair, qu’il a daigné prendre le nom de David dans les prophéties ; envisageons la fin, puisque c’est à « David lui-même » que l’on chante notre psaume ; écoutons la voix de son corps, et soyons membres de ce même corps. Que la voix que nous avons entendue soit notre voix ; prions et disons ce qui suit.
4. « Arrachez-moi, Seigneur, au pouvoir de l’homme méchant[6] » ; non pas d’un seul, mais de toute la race ; non pas de ses instruments seulement, mais du prince même, c’est-à-dire du diable. Mais pourquoi dit-il de l’homme, si c’est du diable ? C’est que lui-même est appelé homme d’une manière figurée : « L’homme ennemi vint et sema de l’ivraie par-dessus » ; et quand les serviteurs viennent demander au Père de famille : « N’avez-vous pas semé de bon grain ? d’où « vient qu’il y a de l’ivraie ? » il répond : « C’est l’homme ennemi qui a fait cela[7] ». C’est donc de cet homme méchant que tu dois de tout ton pouvoir demander à Dieu ta délivrance ; « car tu n’as pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les Principautés et contre les Puissances, contre les princes des ténèbres de ce monde, c’est-à-dire contre les princes des pécheurs[8] ». C’est ce que nous avons été nous-mêmes ; écoutons en effet ce que dit l’Apôtre : « Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[9] ». Devenus lumière, non pas en nous, mais dans le Seigneur, prions non seulement contre les ténèbres, c’est-à-dire contre les pécheurs qui sont encore au pouvoir du diable ; mais contre le diable qui est leur prince, et qui agit dans les enfants de l’incrédulité[10]. « Délivrez-moi de l’homme injuste » ; c’est-à-dire du méchant

  1. Ps. 139,1
  2. Rom. 10,4
  3. Id. 1,3
  4. Jn. 8,58
  5. Id. 1,3
  6. Ps. 139,2
  7. Mt. 13,25-28
  8. Eph. 6,12
  9. Id. 5,8
  10. Id. 2,2