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le voyaient tel que les Juifs le crucifièrent ; or, un Dieu était caché dans cette chair et les hommes pouvaient voir un homme, mais non un Dieu, quoiqu’il fût dans cet homme ; car « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[1] ». Il mettait donc sous les yeux des justes et des impies la nature humaine, mais il réservait aux saints et aux hommes purs de voir la nature divine ; afin d’être notre joie et de nous réserver dans la lumière de sa face un bonheur sans fin.


DISCOURS SUR LE PSAUME 140

SERMON AU PEUPLE.

LA CHARITÉ.

Les vérités du salut sont répétées sous des formes variées pour les soustraire à l’ennui. Aimer Dieu et son prochain t rien de plus simple que ce précepte, qui renferme néanmoins la loi et les Prophètes, qui est tout le christianisme, qui vivifie, tandis que l’amour des méchants est une glu qui les perd.

Le Christ est la fin de la loi, et l’objet de la loi c’est la charité émanant d’un cœur pur, ce qui fait qu’elle n’existe point chez les méchants. Or, aimer le prochain selon Dieu, c’est la vraie charité à laquelle se réduit tonte l’Écriture, c’est-à-dire au Christ qui parle dans notre psaume. S’il y a quelque chose qui puisse paraître indigne de lui, cela s’applique à son corps qui lui est uni. C’est donc au nom de tous ses membres qu’il crie vers Dieu, surtout à son agonie, et que l’Église crie jusqu’à la fin du monde. Cette élévation des mains, comme le sacrifice du soir, c’est la mort de Jésus sur la croix et vers le soir : il parlait alors au nom des hommes dont Dieu s’était éloigné à cause de leurs péchés. Si donc il parle des péchés, parce qu’il s’en est fait la caution, qui d’entre ses membres se croira sans péché ? Il veut à sa bouche non une barrière, mais une porte, afin de confesser ses fautes ; de ne point chercher à les défendre, comme ceux qui se justifient eux-mêmes, comme le Pharisien, moins juste que la pécheresse. Cette malheureuse accuse ses fautes et ne les rejette pas sur Dieu, comme tant d’autres, comme les élus des Manichéens, qui rejettent leurs fautes sur la race ténébreuse, combinée avec la substance divine, d’où la créature dont ils sont une portion. Dès lors le mal en eux vient de cette race, et eux sont innocents. Ils craignent d’ouvrir la terre au moyen de la charrue, de peur de déchirer Dieu lui-même ; ils sont ainsi les sauveurs de Dieu. Le juste me réprimera dans sa miséricorde, c’est-à-dire par charité, et je n’écouterai point tes flatteries des pêcheurs, ma gloire sera dans le témoignage de ma conscience. Soyons sévères contre nous, afin que Dieu nous épargne, haïssons ce que nous avons mis en nous, et dès lors nous serons en partie justes parce que nous goûterons la loi de Dieu, et en partie pécheurs, parce que nous ressentirons dans nos membres la loi de la chair. Essayons de nous réformer à l’image de Dieu ; châtions notre chair qui est pour nous comme une Épouse, afin de la recevoir un jour purifiée et immortelle. Que les louanges des pécheurs ne nous amollissent point, bientôt ils se prendront à dire : Remettez-nous nos dettes. C’est là que tout homme doit en venir, en évitant d’abord les fautes graves, puis les fautes journalières de la langue, puis enfin les imperfections dans b prière. Quant aux impies, que sont leurs sages comparés à la pierre ou au Christ, dont la parole prévaudra ; parole qui envoie les agneaux au milieu des loups, et ces agneaux sont morts à la suite de leur maître, et leur sang que l’on méprisait a fécondé l’Église. Quant à ceux qui ont manqué de courage, comme Pierre, ils en appellent à Dieu, mais ne l’accusent point et pleurent leur faute. Le Seigneur a prédit ces défaillances quand il a dit : Je suis seul jusqu’après mon passage, et après ce passage ou la Pâque, j’attirerai toutes choses à moi ; car le grain de froment sera tombé en terre pour y mourir, et alors il portera son fruit.


1. Tout à l’heure, quand on lisait l’Épître, vous avez entendu, mes frères, ce que l’Apôtre nous conseille et nous demande : « Persévérez », dit-il, « et veillez dans la prière, priant aussi pour nous, afin que Dieu nous ouvre une porte à la prédication de sa parole, afin que j’annonce le mystère de Jésus-Christ, et que je puisse le manifester comme il convient[2] ». Permettez qu’à mon tour j’use de ces mêmes paroles ; car il y a dans les saintes Écritures de profonds mystères qui sont voilés pour n’être point avilis, que l’on recherche pour s’exercer, et que l’on nous découvre pour nous servir de nourriture. Le psaume que nous venons de chanter est obscur en beaucoup d’endroits. Quand nous l’examinerons avec le secours du Seigneur, pour en tirer les vérités qu’il cache, vous reconnaîtrez dans mes paroles ce que vous connaissez déjà, mais ce qui est répété sous bien des formes, afin que la variété de

  1. Mt. 5,8
  2. Col. 4,2-4