Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/214

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je suis humilié à l’excès[1] ». Humilié par les persécuteurs, humilié par l’aveu. Il s’humilie d’une manière invisible, quand ses ennemis l’humilient visiblement. Dieu donc le relève, et d’une manière visible, et d’une manière invisible. Ce fut invisiblement qu’il releva les martyrs ; mais ils le seront d’une manière visible, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption à la résurrection des morts, quand cette chair contre laquelle seule pouvaient sévir les méchants, sera renouvelée. « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme[2] ». Or, qu’est-ce qui a péri ? qu’ont-ils tué ? Peuvent-ils même faire périr ce qu’ils tuent ? Non pas, Écoute la promesse du Seigneur : « En vérité, je vous le déclare, pas un cheveu de votre tête ne périra[3] ». À quoi bon t’inquiéter des autres membres, quand un seul cheveu ne doit pas périr ?
14. « Délivrez-moi de mes persécuteurs ». De qui pensez-vous qu’il veuille être délivré ? Des hommes qui le persécutaient ? Sont-ce bien les hommes qui sont nos ennemis ? Nous avons des ennemis invisibles qui nous persécutent bien autrement. L’homme nous poursuit pour tuer notre corps, l’autre ennemi pour enlever notre âme. Il a donc des instruments ; car il est dit qu’« il exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion[4] ». Au moyen de ses instruments, c’est-à-dire au moyen des hommes dont il se sert, il persécute le corps à l’extérieur, afin de ruiner l’âme à l’intérieur ; car si l’âme demeure ferme quand le corps succombe, le piège est détruit et nous sommes délivrés. Nous avons donc d’autres ennemis ; demandons à Dieu qu’il nous en délivre, de peur qu’ils ne nous séduisent, ou en nous accablant par les maux de cette vie, ou en nous corrompant par ses attraits. Quels sont ces ennemis ? Voyons si quelque serviteur de Dieu, quelque soldat vaillant qui a lutté contre eux n’en a point parlé ouvertement. Écoute ce mot de l’Apôtre : « Vous n’avez point à lutter contre le sang et la chair[5] ». N’allez donc point haïr les hommes, les regarder comme vos ennemis, et croire que leurs inimitiés pourront vous accabler : ces hommes que vous craignez ne sont que chair et que sang ; « et nous n’avons pas à combattre contre le sang et la chair », dit l’Apôtre, voulant nous montrer son mépris pour des hommes assujettis à la mort. Contre qui donc nous faut-il combattre ? « Contre les princes, contre les puissances, contre ceux qui dirigent ce monde ténébreux[6] ». Tu es effrayé à ce mot, de « directeur du monde » ; car s’ils sont les princes de ce monde, iras-tu donc au-delà du monde pour en être délivré ? iras-tu au-delà du monde pour échapper à leur puissance ? Par ceux qui dirigent ce monde ténébreux, tu ne dois donc pas comprendre ceux qui dirigent le ciel et la terre, lesquels sont les ouvrages de Dieu. Mais si l’on appelle monde le ciel et la terre, les méchants s’appellent aussi le monde. Pourquoi le monde ? parce qu’ils aiment le monde ; et dès lors ils sont ténèbres parce qu’ils sont impies. Aussi, que dit saint Paul à plusieurs d’entre eux qui avaient embrassé la foi ? « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[7] ». Voyez donc par qui vous étiez gouvernés avant d’être lumière, et quand vous étiez ténèbres. Par qui sont dirigés les impies, sinon par le diable, comme les hommes de foi et de piété sont dirigés par Jésus-Christ ? C’est donc au diable et à ses anges que saint Paul donne le nom de princes du monde, c’est-à-dire princes de ceux qui aiment le monde, princes des pécheurs, ou des ténèbres de cette vie ; tels sont les ennemis dont nous devons prier Dieu qu’il veuille bien nous délivrer.
15. Voyez aussi deux mondes, clairement précisés dans un endroit de l’Écriture, dans l’Évangile ; le monde que Dieu a fait, et le monde que dirige le diable, c’est-à-dire les amis du monde. Car Dieu qui a fait les hommes, ne les a point faits amis du monde. Aimer le monde est un péché, et Dieu n’a point fait le péché. Écoutez donc ce double monde que je vous annonçais. « Il était dans ce monde »[8], est-il dit. Mais de qui est-il dit qu’il était dans ce monde, sinon de Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu, et dont je vous ai dit tout à l’heure : « Elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre, et dispose tout avec douceur[9] ? Elle atteint partout us à cause de sa pureté, et rien de souillé n’est en elle[10] ». Donc « il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a

  1. Ps. 141,7
  2. Mt. 10,28
  3. Lc. 21,18
  4. Eph. 2,2
  5. Id. 6,12
  6. Eph. 6,12
  7. Id. 5,8
  8. Jn. 1,10
  9. Sag. 8,1
  10. Id. 7,24-25